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Page:Braddon - La Femme du docteur, 1870, tome I.djvu/184

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LA FEMME DU DOCTEUR.

Parfois, quand George avait soupé, Isabel lui faisait la faveur de lui lire à haute voix l’un des poèmes les plus échevelés des Rêves d’un Étranger. Mais, au moment où l’étranger se montrait le plus harmonieusement cynique, et que la voix de la jeune femme devenait tremblante par la surexcitation soudaine de ses sentiments, ses regards, se tournant par hasard du côté de son mari, le surprenaient bâillant derrière son verre ou faisant sur ses doigts le compte des visites dues par un de ses malades. Une fois, entre autres, George fut exclusivement surpris de voir sa femme laisser tomber son livre et fondre en larmes. Il ne devina pas un seul instant la cause de ce chagrin ; mais il resta ébahi, la regardant pendant plusieurs secondes avant de pouvoir trouver une seule parole de consolation.

— Tu n’aimes pas la poésie, George, — s’écria-t-elle avec l’emportement d’un enfant gâté. — Pourquoi donc me laisses-tu lire si tu n’aimes pas les vers ?

— Mais je les aime, ma chère Izzie, — balbutia Gilbert d’un ton conciliant, — du moins j’aime à l’entendre lire si cela t’amuse.

Isabel lança « l’étranger » dans l’angle le plus éloigné de la chambre, et se détourna de son mari comme s’il l’avait frappée.

— Tu ne me comprends pas, — dit-elle ; — tu ne me comprends pas !

— Non, ma chère Isabel, — répondit avec dignité Gilbert, car son bon sens reprit ses droits après le premier moment de surprise ; — je ne te comprends certainement pas quand tu te mets dans une colère pareille sans cause apparente.

Il se leva, alla chercher le petit volume, et arran-