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Page:Braddon - La Femme du docteur, 1870, tome I.djvu/207

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LA FEMME DU DOCTEUR

un gîte convenable, une nourriture abondante et saine, des vêtements décents pour se couvrir ; et dans laquelle, si elle avait été une jeune femme de cœur et de sens, elle aurait dû être très-heureuse.

Mais elle n’était pas heureuse. La fièvre lente qui couvait depuis longtemps dans ses veines était maintenant un feu ardent et avide. Il lui fallait une vie brillante, heureuse, élégante ; elle voulait être comme Gwendoline et habiter une maison comme le château de Warncliffe. Ce n’était pas qu’elle enviât la fille de lord Ruysdale, remarquez bien ; l’envie était étrangère à sa nature. Elle admirait trop Gwendoline pour l’envier ! Elle aurait voulu être la sœur cadette de cette femme élégante, et pouvoir la respecter et l’imiter très-humblement. Elle n’avait nul désir de dépouiller les aristocrates de leurs privilèges ; elle voulait simplement être elle-même une aristocrate, porter les mêmes insignes et marcher dans la vie au son de la même musique.

George survint, très-essoufflé, pour la conduire à la tonnelle, où il y avait une salade de homard, du sherry de Graybridge, premier choix, et du vin du Rhin que Raymond avait apporté.

Les orphelines et les deux hommes s’amusèrent beaucoup. Raymond était aussi versé dans la médecine qu’en économie politique, et lui et George s’engagèrent dans une conversation où il y avait beaucoup de mots rébarbatifs. Les enfants mangèrent, — ce qui pour elles constituait le bonheur, — et Isabel s’appuya dans un coin, suivant d’un air rêveur les jeux de la lumière sur l’herbe et se demandant pourquoi le sort lui avait refusé le privilège d’être la fille d’un comte.

L’atmosphère pesante de cette journée d’été, le vin