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LA FEMME DU DOCTEUR.

mant un bâillement et en déclarant qu’il n’entendait rien à la question, qu’il était parfaitement stupide, et qu’il priait son oncle d’avoir la bonté de l’excuser et de garder ses arguments admirables pour un interlocuteur plus digne de les apprécier.

Le jeune homme manquait d’enthousiasme politique. Il était descendu dans la grande arène, avait lutté un instant, et s’était vu repoussé, non par la vigueur de ses adversaires, mais par la vis inertiæ des choses en général. Huit ou neuf ans auparavant, Lansdell s’était montré plein d’ardeur, trop ardent, peut-être, — car il avait ressemblé à ces chevaux de course qui, dès le départ, devancent d’un bond tous les autres concurrents, mais qui se dérobent ignominieusement lorsqu’ils sont arrivés à la moitié de la distance qui sépare le poteau de départ de la tribune du juge. Ce jeune homme, si bien doué, manquait de fond. Si les couronnes de l’existence étaient le prix d’un élan irrésistible, il les aurait gagnées ; mais au train dont marchent les choses, force lui était de se confondre dans les rangs des concurrents non placés, et de laisser les privilégiés poursuivre leur course vers la victoire.

Voilà pourquoi Lansdell avait désappointé ses amis par ses échecs. Il avait si bien commencé, il promettait tant ! « Si ce jeune homme est déjà remarquable à vingt ans, se disait-on, que sera-t-il à quarante-cinq ans ? » Mais à trente ans Roland n’était rien. Il s’était tout à fait retiré de la vie politique, et il n’était plus qu’un héros de salon, un touriste dans les grandes villes du continent, où le plaisir est facile, un badaud parcourant nonchalamment les îles charmantes de l’archipel grec, un écrivailleur de méchants