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Page:Braddon - La Femme du docteur, 1870, tome I.djvu/234

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LA FEMME DU DOCTEUR.

le moyen de me procurer des vins turcs et allemands au meilleur marche possible ?

Lansdell pensait souvent à son existence. Il est contre nature qu’un homme, naturellement bien doué, mène une existence mauvaise et inutile sans y penser parfois. Lansdell était sujet à de sombres accès de mélancolie pendant lesquels le présent lui semblait un fardeau et l’avenir un désert, — un grand désert nu ou un pont d’une longueur interminable, pareil à celui que le génie fit voir à Mirza pendant sa vision matinale, semé de trous effroyables par où disparaissent les piétons inattentifs, pour s’engloutir dans les horribles profondeurs d’un insondable océan.

Pauvre Roland ! il ne pouvait apercevoir l’autre rive, non plus que les collines ensoleillées et les falaises brillantes au delà de cette mer désolée. Il y avait la terrible agonie du plongeon, puis plus rien. Voilà quelles étaient ses pensées, et la vie lui pesait à cause de cela. À quoi servaient les plaisirs éphémères d’une existence qui, à un moment donné, pouvait être brusquement tranchée, comme lorsqu’une porte sombre vient se fermer sur le seuil d’une chambre égayée des rayons du soleil ? Qui pouvait regarder l’amour comme un bonheur, quand d’un moment à l’autre les regards aimés pouvaient s’éteindre, la douce voix se taire, la main caressante desserrer à jamais son amoureuse étreinte ? L’espérance était à jamais morte pour ce jeune homme, qui voyait des miracles se produire à chaque instant sur terre, qui assistait à la mort et à la résurrection sous mille formes familières, et qui, néanmoins, ne croyait pas que le Créateur, qui a jeté dans chaque âme une aspiration universelle vers une autre existence, puisse,