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Page:Braddon - La Femme du docteur, 1870, tome I.djvu/279

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LA FEMME DU DOCTEUR

— Je suis certain que le grand air et la poussière fatigueront Mme Gilbert.

Mais là-dessus Raymond s’interposa et dit que le grand air était précisément ce qu’il fallait à Isabel. Elle-même se rallia à cet avis. Elle ne voulait déranger personne, disait-elle ; pour rien au monde elle n’eût voulu le déranger, pensait-elle. Aussi le cabriolet fut-il amené et George emmena-t-il sa femme, par le portail normand sous lequel ils avaient pénétré à la clarté du soleil de midi. Le jeune homme était fort dispos et déclara qu’il s’était amusé au delà de toute expression — les gens peu démonstratifs prétendent toujours qu’ils s’amusent beaucoup — mais Isabel resta silencieuse et concentrée, et lorsque son mari la questionna à ce sujet elle répondit qu’elle était fatiguée.

Oh ! comme le monde paraissait vide après cette visite au Prieuré de Mordred ! C’était fini. Cette suprême coupe de bonheur avait été tarie jusqu’à la lie. Novembre allait venir et Roland s’en irait. Peut-être partirait-il avant novembre, soudainement, dès que la fantaisie l’en prendrait. Qui pouvait prévoir les desseins du Giaour ou de sir Reginald Glainville ? À tout moment, au milieu des ténèbres d’une nuit sans lune, le héros pouvait demander son coursier fougueux et le seul fracas du galop de sa monture sur la chaussée sonore témoigner de son départ.

Lansdell pouvait quitter Mordred à n’importe quelle heure de ces longues journées d’été, pensait Isabel, debout devant la fenêtre du parloir et regardant le chemin poudreux où les poules de Mathilda ramassaient quelques grains de blé qui étaient tombés d’une charrette quelconque. En ce moment même il était peut-être parti — oui, en ce moment même, tandis