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Page:Braddon - La Femme du docteur, 1870, tome I.djvu/313

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LA FEMME DU DOCTEUR

d’une manière ou d’une autre, comme un homme cruellement maltraité par la Providence.

Mais en dépit de Raymond il trouva moyen de s’asseoir à côté d’Isabel pendant le dîner qui ne tarda pas à être servi dans un charmant petit recoin à l’ombre des murailles où l’on ne courait pas le risque de renverser le sel dans la pâtisserie et les biscuits dans la salade de homard. Lansdell avait envoyé deux domestiques pour mettre tout en ordre ; aussi le repas ne ressemblait-il aucunement à un repas champêtre ordinaire, où l’on oublie et où l’on perd mille ustensiles et où il y a le plus souvent confusion par la raison que chacun prétend aider aux préparatifs. C’était au contraire un véritable banquet recherché, mais il n’avait pas le charme des fêtes vraiment champêtres, qui se distinguent par une disette de verres et par l’absence totale de fourchettes. Le champagne était frappé, les gelées tremblaient au soleil, tout marchait à ravir, et si Raymond n’avait pas insisté pour renvoyer les deux hommes, qui servaient à table avec la solennité glaciale des jours habituels, le repas n’eût mérité, en aucune façon, le titre de repas champêtre. Mais une fois les deux domestiques partis, et Sigismund, très-rouge, très-poudreux, et très-bruyant, élevé à la dignité de sommelier, les choses s’améliorèrent considérablement.

Le soleil baissait lorsqu’on abandonna les reliefs du festin aux soins des deux solennels valets de pied. Le soleil baissait et la lune était levée, si pâle qu’on pouvait à peine la distinguer d’un léger nuage floconneux perdu dans un ciel d’opale. Raymond emmena Isabel par l’escalier tournant sur la plate-forme d’une tour très-élevée au pied de laquelle s’étendaient de