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Page:Braddon - La Femme du docteur, 1870, tome I.djvu/320

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LA FEMME DU DOCTEUR.

parle de cela, Dieu sache que je ne pourrais guère vous aimer plus tendrement si j’étais votre père. Mais si j’étais votre père, je ne crois pas que vous m’écouteriez ou que vous feriez attention à moi. C’est ce qui arrive le plus souvent dans des cas identiques. J’ai quelque expérience, Raymond, et je ne sais que trop l’inanité des conseils dans ces occasions. Mais je ne saurais vous voir prendre la mauvaise route sans vous crier gare et dans l’intérêt de ce pauvre diable d’honnête homme qui est là-bas, il faut que je parle. N’avez-vous pas conscience du mal que vous faites ? N’avez-vous pas connaissance du gouffre insondable de péché, de souffrances, de honte, et d’horreur que vous creusez sous les pieds de cette jeune femme insensée ?

— Diable ! Raymond, — s’écria Roland avec un éclat de rire, rire qui sonnait faux, semblable à cette joie vide et factice dont un homme fait accueille toujours le récit de quelque vieille histoire qui lui était familière dans son enfance, diable ! Raymond, vous devenez aussi obscur qu’un poète moderne ! À qui en avez-vous ? De quel pauvre diable parlez-vous ? où est cette femme insensée et de quoi s’agit-il, en un mot ?

— Roland, soyons francs entre nous, au moins. Vous rappelez-vous m’avoir dit une fois que, bien que vous eussiez perdu une à une vos illusions les plus brillantes, l’honneur était sauf, — pauvre étoile indistincte et bien pâle comparée à ces autres flambeaux qui s’étaient éteints dans l’obscurité, mais dont l’éclat suffisait à vous retenir dans le droit chemin ? Cette dernière lueur est-elle partie avec le reste, Roland, mon pauvre malheureux enfant, — vous que j’aime comme mon propre fils ? — un jour viendra-t-il où j’aurai à rougir du fils unique d’Anna Lansdell ?