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Page:Braddon - La Femme du docteur, 1870, tome I.djvu/33

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LA FEMME DU DOCTEUR

chaque nouvelle saison, comme si la négligence et les mauvais traitements eussent été impuissants à les chasser du sol familier qu’elles aimaient. C’est ainsi que de rares orchidées sortaient du milieu des plates-bandes envahies par le mouron, et que des muguets apparaissaient au milieu des mousses, dans un angle retiré, au-dessous du réservoir. Il y avait des vignes dont les raisins n’avaient jamais mûri depuis l’installation de Sleaford, mais qui étalaient encore un verdoyant écran sur la façade de la maison, accrochant leurs vrilles aux volets à moitié démolis qui pourrissaient lentement sur leurs pivots rouillés. Il y avait des plates-bandes de fraisiers, et à l’une des extrémités une tonnelle sous laquelle les garçons jouaient avec des cartes graisseuses et écornées pendant les longues soirées d’été. Sous les noisetiers, preuve évidente de la présence des garçons, il y avait des clapiers. Cet enclos était une retraite bizarre, malpropre, et charmante, où l’odeur des étables lointaines se mêlait faiblement au parfum des roses. C’était dans ce jardin négligé qu’Isabel Sleaford passait la majeure partie de sa vie oisive et inutile.

Elle était assise dans un fauteuil de jardin, à l’abri d’un des poiriers, lorsque Sigismund et son ami s’approchèrent d’elle. Elle était accroupie dans ce fauteuil, un livre ouvert sur les genoux, le menton supporté par la paume de la main, tellement absorbée par sa lecture qu’elle ne leva même pas les yeux quand les jeunes gens furent à deux pas d’elle. Elle était vêtue d’une robe de mousseline, très-froissée et d’une blancheur douteuse, et elle avait autour du cou un ruban de velours noir. Ses cheveux, presque aussi noirs que ceux de son frère, étaient noués négligem-