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Page:Braddon - La Femme du docteur, 1870, tome I.djvu/45

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LA FEMME DU DOCTEUR

vait qu’en faire.

Si je m’appesantis si longtemps sur les trois personnages réunis dans ce jardin négligé de la banlieue, pendant cette journée du 20 juillet 1852, c’est qu’ils sont encore au seuil de la vie et que l’avenir s’ouvre devant eux comme la vaste scène d’un théâtre ; mais le rideau est encore baissé, et au delà tout n’est plus que mystère. Chacune de ces trois têtes folles avait des idées sur ce grand mystère. Isabel pensait qu’elle ferait la rencontre d’un duc quelconque dans Walworth Road : le duc conduirait son phaéton, et elle-même serait coiffée de son chapeau le plus frais et n’irait pas chercher du beurre ; puis le jeune patricien demeurerait stupéfait à sa vue, il se rendrait immédiatement chez son père et lui demanderait officiellement sa main, et elle l’épouserait et ne porterait plus, à partir de ce moment, que des robes de velours et une couronne de diamants, comme Édith Dombey dans le grand tableau de M. Hablot Browne. Les rêves du bon George n’évoquaient pas une destinée aussi romanesque. Il pensait qu’il épouserait quelque jolie fille, que sa clientèle s’accroîtrait, qu’un jour peut-être il ferait une cure merveilleuse dont on parlerait dans la Lancette, et qu’enfin il vivrait et mourrait respecté, comme son grand-père et son père avaient fait avant lui, dans la bonne vieille maison couverte en tuiles et aux pignons de chêne peints en noir. Sigismund n’avait, lui, qu’un seul idéal : la publication d’une œuvre magistrale dont les revues parleraient et qui aurait un succès retentissant. Il se contentait volontiers d’une vie tranquille pour lui-même, car, par procuration, il lui arrivait plus d’aventures que l’esprit humain n’en peut concevoir. Il revenait le soir à Camberwell et mangeait une demi-livre de