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Page:Braddon - La Femme du docteur, 1870, tome I.djvu/70

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LA FEMME DU DOCTEUR.

s’adonne au genre le plus favorable à ses qualités, que de se traîner péniblement dans l’ornière du voisin ? Box et Cox, considéré au point de vue purement esthétique, n’est assurément pas une œuvre magistrale ; mais je préférerais être l’auteur de Box et Cox, et entendre mon auditoire se tordre de rire depuis le lever jusqu’à la chute du rideau, que d’écrire une lourde tragédie en cinq actes, aux unités de laquelle Aristote lui-même n’aurait rien à dire, mais au spectacle de laquelle l’auditoire terrifié fuirait avant la fin du deuxième acte. J’aurais aimé être Guilbert de Pixérécourt, le père et le roi du mélodrame, l’homme dont les drames furent joués trente mille fois en France de son vivant (et combien de fois en Angleterre ?) ; l’homme qui régnait sans partage sur les spectateurs de son siècle et dont le règne dure encore. Qui s’est jamais avisé de citer un passage des œuvres de Guilbert de Pixérécourt ou de se rappeler son nom ? Mais aujourd’hui encore on joue ses drames dans tous les théâtres de province ; ses héroïnes persécutées pleurent et tremblent ; ses scélérats et ses assassins remplissent leur existence de crimes pendant deux heures tous les soirs, et finalement sont jetés, malgré leurs malédictions, dans quelque cul de basse-fosse où ils meurent impénitents et le blasphème à la bouche, aux pieds de la vertu triomphante. Ce soir, avant neuf heures, il y aura d’honnêtes provinciaux qui trembleront pour le sort de Thérèse, l’orpheline de Genève, et des femmes au cœur simple qui pleureront sur les dangers des Enfants de la Forêt. Mais Guilbert de Pixérécourt n’était pas un grand homme ; il était simplement populaire. Si un homme ne peut avoir sa niche dans le Walhalla, n’est-ce donc rien qu’il puisse