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Page:Braddon - La Femme du docteur, 1870, tome II.djvu/131

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LA FEMME DU DOCTEUR

N’était-ce pas la condescendance d’un demi-dieu qui sourit à une créature humaine ? N’était-ce pas l’histoire renversée de Diane et d’Endymion ? Ce n’était pas la déesse, mais le dieu qui descendait sur la terre. Mais qu’il l’aimât désespérément et passionnément et qu’il fût désolé de ne pouvoir la posséder, c’était là un fait inouï qui dépassait presque l’intelligence d’Isabel. Parfois elle ne voyait en lui que le perfide seigneur qui, au premier acte, affecte une grande sincérité, mais qui, au second acte, repousse sa victime avec mépris. D’autres fois la vérité lui apparaissait brusquement, soudaine comme un coup de tonnerre, et elle sentait qu’elle avait fait vraiment beaucoup de mal à Roland.

Et où était-il, pendant ce temps, l’homme qui avait jugé Isabel d’après la règle commune et qui l’avait crue toute prête à répondre à son appel dès qu’il jugerait à propos de l’avoir près de lui ? Qui dira l’histoire coupable et pleine d’amertume de son chagrin et de sa colère ? Jamais dans toute son irritation contre lady Gwendoline lorsqu’elle rompit avec lui pour s’engager avec lord Heatherland, il n’avait senti une rage aussi grande, une indignation aussi profonde que celle qui s’emparait alors de lui à la pensée d’Isabel. Blessé dans son orgueil, dans sa vanité, ébranlé dans cette confiance en soi-même qui est le propre de l’homme du monde, il ne pouvait si promptement pardonner à cette femme qui s’était si complètement jouée de lui, qui l’avait trompée à ce point. La colère et le désappointement le rendaient fou lorsqu’il pensait à l’histoire des douze mois qui venaient de s’écouler. L’amertume de ses luttes avec lui-même ; ses résolutions héroïques, — jeunes et fraîches le matin ;