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Page:Braddon - La Femme du docteur, 1870, tome II.djvu/133

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LA FEMME DU DOCTEUR

habilement mêlées à la trame originelle du rythme. Quelques mois seulement s’étaient écoulés depuis qu’il s’était amusé à griffonner de mélodieuses lamentations sur l’inanité des choses en général et sur cette mortelle froideur de l’âme, à laquelle un jeune homme de vingt-sept ans, possédant une grande fortune, et ne poursuivant aucun but particulier, est singulièrement sujet. Ah ! avec quelle raillerie impitoyable il s’était moqué des sentiments tendres des autres hommes ! Que de cruels aphorismes de Scarron et de La Rochefoucauld, de Swift et de Voltaire, de Wilkes et de Mirabeau il avait cités au sujet de l’amour et de la femme ! Avec quelle résolution il avait refusé de croire à la durée de l’amour ! Avec quelle froideur il avait tourné en ridicule la sainte puissance de l’affection ! Il avait affecté des airs cyniques à propos de la trahison de sa cousine, et il avait déclaré qu’il n’y avait aucun sentiment sincère chez la femme, parce que Gwendoline avait mis son éducation à profit et avait essayé de tirer le meilleur marché possible de sa beauté saxonne et de ses boucles soyeuses. Et il mentait à sa propre foi. Il était amoureux, passionnément, sincèrement amoureux, d’une folle et romanesque petite femme, dont le plus grand charme était… quoi ? C’était la question qu’il essayait vainement de résoudre. Il grinçait des dents dans un excès de rage en essayant de découvrir la raison de son amour pour cette femme. D’autres femmes plus jolies et de beaucoup plus accomplies, avait tendu autour de lui les réseaux enchantés des flatteries délicieuses et de la tendresse la plus dévouée ; mais il avait rompu les invisibles mailles et s’était éloigné, invulnérable aux traits brûlants des yeux brillants, insensible aux sou-