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Page:Braddon - La Femme du docteur, 1870, tome II.djvu/136

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LA FEMME DU DOCTEUR.

femme quasi-insignifiante d’un médecin de campagne.

Les semaines s’écoulèrent lentement, et le valet de chambre de Roland eut ce qu’il appelait « du bon temps. » Jamais valet n’avait été aussi tourmenté par les fantaisies et les divagations de son maître.

— Tantôt nous étions en route pour la Souisse, — le valet de Roland désignait ainsi la Suisse, — puis il nous fallait partir aussi vite que le chemin de fer pouvait nous porter, sans jamais s’arrêter pour dormir, excepté en chemin de fer, jusqu’à ce que nous fussions à Pau ou à Bruxelles. Le lendemain nous partions pour Saint-Pétersbourg avec notre ami Hawkwood, le messager de la reine ; et nous filions à toute vitesse, sans souci du danger ou de la fatigue. Ensuite nous traversions les monts Balkans sur ces damnés chevaux turcs qui vous secouent un homme à le tuer, ou bien nous faisions une traversée à bord d’un yacht sur la Méditerranée, ou encore nous pêchions dans les contrées les plus désolées de la Norwége. Et tout cela pour une pimbêche de Graybridge ! — s’écriait le valet de Roland avec un dédain qu’il ne cherchait pas à cacher ; — pour une jeune personne qui n’est pas digne d’éclairer Sarah Jane, la femme de chambre, ou Élisa, la lingère !

Pauvre Roland ! ses domestiques savaient presque aussi bien que lui-même la nature de la fièvre qui l’avait rendu si inquiet. Ils savaient qu’il était amoureux d’une femme qu’il ne pouvait épouser ; ils se moquaient de lui à cause de sa folie, et discutaient toutes les phases de sa maladie en dînant plantureusement à l’office.

Les semaines s’écoulaient lentement pour Roland, les jours étaient tristes et les nuits intolérables. Il fit