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Page:Braddon - La Femme du docteur, 1870, tome II.djvu/300

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LA FEMME DU DOCTEUR.

Elle regardait en arrière, maintenant que l’aveuglement de la passion s’était dissipé et s’en était allé avec le défunt, et elle se voyait telle qu’elle avait été réellement : sans charité, intolérante, en proie à une colère jalouse, qu’elle avait cachée sous le masque féminin si utile des convenances outragées. Ce n’était pas le crime de Roland qui l’avait blessée, c’était son amour pour lui qui avait été offensé par les attentions que Roland avait pour une autre femme.

Elle ne sut jamais qu’elle avait envoyé à la mort l’homme qu’elle aimait. Inflexible jusqu’au dernier moment, Roland garda le secret de cette fatale rencontre dans le Ravin de Nessborough. L’homme qui causait sa mort était le père d’Isabel. Si Roland avait eu des dispositions vindicatives envers son ennemi, il l’aurait, par égard pour elle, laissé partir librement ; mais aucun sentiment de vengeance n’avait précipité les battements de son cœur. À peine ressentait-il quelque colère contre Jack le Scribe ; il voyait plutôt dans ce qui était arrivé l’œuvre d’une étrange fatalité, ou l’exécution d’un jugement divin.

— J’étais prêt à défier le ciel et la terre dans mon amour pour cette femme, — pensait-il. — Je m’imaginais que c’était chose facile pour un homme d’arranger le plan de sa vie et d’être heureux à sa guise. Il est bon que j’aie été forcé de comprendre ma position dans l’univers. Ce Sleaford n’est pas autre chose qu’une sorte de Némésis brutale qui m’attendait au bas de la colline. Si j’avais essayé d’escalader la pente, — si j’avais sanglé mon armure et quitté le château de l’indolence pour combattre dans les rangs de mes frères, — le rôle de vengeur eût été inutile. Qu’il s’en aille donc. Il n’a fait que s’acquitter de sa tâche ; et