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Page:Braddon - La Trace du serpent, 1864, tome I.djvu/12

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LA TRACE

toutes sortes d’esquifs tels qu’écorces d’orange, tiges et semelles de bottes, bouts de papier, tout comme de vrais vaisseaux sont engloutis dans les grands tourbillons des mers du Nord. Cette rivière assez laide, qu’on appelle le Sloshy, formait une sorte de Mississipi, et les bateaux charbonniers qui couvraient sa surface se voyaient enlever les linges et les cordes qui meublent ordinairement leurs ponts. C’était décidément un affreux jour de novembre, un de ces jours où le brouillard revêt la forme d’un démon, où il se penche sur l’épaule des passants et leur souffle à l’oreille des paroles de suicide : « Coupez-vous la gorge, vous savez que vous avez un rasoir et que vous ne pouvez vous raser, parce que vous avez bu et que votre main tremble ; une petite incision sous l’oreille gauche, et la chose serait faite. C’est, en vérité, ce que vous pouvez faire de mieux. » Un jour où la pluie monotone, persévérante, incessante, prend une voix pour vous dire : « Ne pensez-vous pas que vous allez devenir mélancolique ou fou ? Regardez-moi, soyez assez bon pour me contempler ainsi une couple d’heures de suite, et pendant que vous me considérez, songez à la jeune fille qui fit la coquette avec vous il y a dix ans, et demandez-vous si vous seriez aujourd’hui un homme beaucoup plus heureux si elle vous eût aimé réellement. Ah ! je pense que, si vraiment vous étiez assez bon pour me regarder longtemps,