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Page:Braddon - La Trace du serpent, 1864, tome II.djvu/11

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DU SERPENT.

quefois assez fou et assez malheureux pour prier que ces ombres se produisissent différemment, que l’ordre même de la nature pût être renversé, afin de rompre cette froide et mortelle monotonie. Il a quelquefois prié pour que, en levant les yeux, il pût apercevoir une grande lueur dans le ciel et apprendre que le monde touchait à sa fin. Combien de fois aussi il a prié pour mourir, serait chose difficile à dire : ce fut pendant un temps son unique prière. Il arriva un moment où il ne pria plus. Il lui était permis, par intervalles, de voir sa mère ; mais ces visites, quoiqu’il comptât les jours, les heures et les minutes qui s’écoulaient entre elles, le laissaient plus accablé que jamais. Elle apportait avec elle, dans sa prison solitaire, tant de souvenirs d’un passé joyeux de liberté, de bonheur de famille, bonheur que dans sa folle jeunesse il avait fait de son mieux pour détruire ; tant de souvenirs aussi de cet âge insouciant, de ses bons compagnons, de ses amis dévoués, qu’elle laissait après elle, et les tristesses d’un sombre désespoir beaucoup plus terribles que la plus terrible mort. Elle lui représentait le monde extérieur, car elle était la seule créature attachée à lui qui passât jamais le seuil de sa prison. L’aumônier de l’asile, le docteur, les gardiens et les fonctionnaires appartenant à l’asile, tous étaient des parties ou des matériaux de cette grande prison de pierre, de brique et de mortier, et aussi incapables de le plaindre, de