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Page:Braddon - Les Oiseaux de proie, 1874, tome I.djvu/120

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LES OISEAUX DE PROIE

une vie méprisable et dégradante, qui vous met au-dessous de toute société respectable et vous courbe au niveau des chevaliers d’industrie. Si vous aviez quelque orgueil, Valentin, vous le sentiriez aussi amèrement que je le sens moi-même.

— Oui ; mais je n’ai pas d’orgueil. Quant à ma vie… Eh bien ! j’admets qu’elle soit méprisable et vile… Oui ! misérable, je sais qu’elle l’est souvent ; mais cela me va encore mieux qu’une plate et banale respectabilité. Je puis dîner un jour avec des truffes et du champagne, et une autre fois avec du pain, du fromage, et de la petite bière ; mais je ne pourrais me faire à manger du bœuf et du mouton tous les jours… C’est là ce qui tue les êtres de mon espèce. Il y a des hommes nés pour vivre en dehors du monde, et je suis un de ceux-là, Diana. Éloignez-vous de moi si vous aspirez à quelque chose de meilleur, mais n’entreprenez pas de changer ma nature, car ce serait du temps perdu.

— Valentin, il y a de la cruauté de votre part à parler ainsi.

— De la cruauté, envers qui ?

— Envers envers ceux qui vous portent de l’intérêt. »

La nuit était tout à fait venue ; mais, malgré l’obscurité, Diana avait baissé la tête en disant ces mots. Valentin partit d’un grand éclat de rire.

« Ceux qui prennent intérêt à moi, s’écria-t-il, connais pas !… Mon père était un ivrogne qui a laissé grandir ses enfants autour de lui, comme il eût souffert à son foyer une portée de petits chiens, parce qu’il trouvait plus commode de les y laisser que de les mettre dehors. Ma mère était bonne, je le sais, dans les commencements ; mais il aurait fallu qu’elle fût trois fois sainte pour de-