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Page:Braddon - Les Oiseaux de proie, 1874, tome I.djvu/26

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LES OISEAUX DE PROIE

— Je ne sais pas. Un joueur de whist a souvent bien des mauvaises cartes avant qu’il tombe sur une série d’atouts ; mais les atouts finissent toujours par venir s’il a la patience de les attendre. Tout homme a sa chance, Philippe ; il ne faut que savoir la saisir ; mais il y en a beaucoup qui se découragent, et s’endorment avant que leur chance arrive. J’ai déjà dépensé bien du temps et du travail en pure perte ; mais les atouts sont dans le jeu, et il faudra bien qu’ils en sortent un peu plus tôt, un peu plus tard… »

George fit un signe d’adieu et se retira, et, tout en s’en allant, il sifflait gaiement. Philippe l’entendit et tourna sa chaise vers le feu avec un geste d’impatience.

« Vous pouvez être très-savant, mon cher George, se dit le dentiste à lui-même, mais vous ne ferez jamais fortune à lire des testaments et à feuilleter des registres de paroisses pour rechercher les héritiers légitimes ; il n’est nullement probable qu’une somme un peu ronde attende qu’on vienne la chercher, quand tous ceux qui peuvent alléguer le plus léger prétexte pour s’en emparer sont encore au monde. Non, non, mon garçon, croyez-moi, il faudra que vous trouviez un meilleur moyen pour vous enrichir. »

Le feu avait baissé de nouveau, et Sheldon demeurait mélancoliquement assis devant les charbons noircis. L’état de ses affaires était fort mauvais… plus mauvais qu’il n’avait osé le confesser à son frère. Les voisins et les passants qui enviaient la brillante demeure de Sheldon ne soupçonnaient pas que le maître de la maison était entre les mains des usuriers et que la pierre à frotter qui servait à blanchir les marches de sa porte était payée par les trésors d’Israël. La philosophie de Philippe était toute mondaine. Il savait que le soldat de