Aller au contenu

Page:Braddon - Les Oiseaux de proie, 1874, tome I.djvu/28

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
24
LES OISEAUX DE PROIE

solvabilité tient sa cour et rend ses arrêts. Tant qu’il avait eu son petit capital il n’avait point fait de dettes ; mais ce capital épuisé et les affaires de son état allant de mal en pis, il fut bien obligé d’emprunter. Ses prêteurs se lassèrent vite et refusèrent de lui faire la moindre avance. La chaise sur laquelle il était assis, le tisonnier avec lequel il arrangeait le feu ne lui appartenaient pas. Un jugement obtenu par un des juifs, ses créanciers, autorisait celui-ci à faire vendre ses meubles ; et, en rentrant chez lui, il pouvait trouver placardée sur son mur l’affiche du commissaire-priseur et son commis occupé à dresser l’inventaire de son mobilier. Si à ce moment la victime tant attendue qui devait acheter sa clientèle s’était présentée il eût été trop tard ; ses créanciers seuls auraient bénéficié du marché.

Il est rare qu’un homme se trouve acculé par une plus sombre fatalité que celle qui accablait Sheldon. Cependant ce soir-là il ne paraissait à vrai dire ni découragé, ni désespéré, mais simplement préoccupé par la préparation, l’exécution possible de quelque grand projet.

« Ce serait une bonne affaire pour moi, murmura-t-il, si j’étais de taille à la faire réussir. »

Le feu s’éteignit tout à fait ; les horloges sonnèrent minuit. Philippe réfléchissait à l’avenir devant les cendres encore tièdes de la cheminée. Les domestiques s’étaient retirés à onze heures, après avoir poussé les lourds verrous de la porte d’entrée, ce qui était bien inutile. Un mortel silence emplit la maison. Sheldon, toujours assis, entendait avec une netteté qui l’irritait les voix des passants attardés et les miaulements des chats du voisinage. Un meuble en acajou qui était dans un coin fit entendre un craquement étrange, long et