Aller au contenu

Page:Braddon - Les Oiseaux de proie, 1874, tome I.djvu/7

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
3
LES OISEAUX DE PROIE

des splendeurs, tant du dehors que du dedans. Le prestige de l’habitation rejaillissait, comme il arrive, sur l’habitant, et on se demandait de temps en temps si ce dernier n’était pas une personne tout à fait supérieure aux autres personnes. Du reste, l’inscription gravée sur la plaque de cuivre informait le voisinage que le No 14 était occupé par M. Philippe Sheldon, chirurgien-dentiste, et aux heures de loisir les habitants de Fitzgeorge Street faisaient des commentaires à perte de vue sur la vie, les habitudes, les affaires de ce gentleman.

Il était, cela va de soi, éminemment respectable ; les voisins ne se posaient même pas cette question. Un bourgeois qui avait une devanture de porte aussi soignée et de pareils rideaux de mousseline était nécessairement le plus correct des humains. Il est évident qu’il n’y a qu’un citoyen de mœurs dissolues et d’esprit déréglé qui puisse avoir à ses fenêtres des rideaux de mousseline chiffonnés et malpropres. Les yeux sont le miroir de l’âme, dit le poète ; or, si on ne voit pas toujours les yeux d’un homme, rien de plus logique que de contempler les fenêtres de sa maison pour savoir au juste ce qu’il vaut. C’était du moins l’opinion des habitants de Fitzgeorge Street, Russell Square.

La personne et les habitudes de Sheldon étaient, du reste, en parfaite harmonie avec l’aspect de sa maison : ses devants de chemise étaient aussi blancs que les marches de son perron ; l’éclat de sa plaque de cuivre se retrouvait dans l’éclat de ses boutons de manchettes ; le lustre de ses gilets de satin noir n’était pas moins brillant que le vernis de sa porte ; et le poli parfait de ses ongles bien taillés, extrêmement nets, sa chevelure, ses favoris irréprochables, faisaient involontairement songer à la construction régulière de la maison, à sa façade