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LES OISEAUX DE PROIE

avoir pour tout linceul du limon, de la vase, et du fumier autour de soi, attendant qu’un homme passe et dise : c’est lui… vraiment, c’est dur… Et, qui sait, un homme mort sent peut-être ces choses-là ?… »

Ce fut dans une de ces lugubres flâneries auxquelles il s’habitua, qu’Horatio Paget prit ce refroidissement qui le tint couché des semaines entières. L’automne qui venait de finir avait été humide, triste, pluvieux. Le capitaine, bien que très-intelligent à certains égards, n’était pas un homme chez lequel les choses de l’esprit tenaient une très-grande place. Quand il se trouva prisonnier dans le salon mesquin de Mme Kepp, il eut une impression très-pénible. Quand il avait lu plusieurs pages du journal qu’il empruntait, et fait telle ou telle réflexion sur l’article de fond, ou grogné à l’annonce de quelque riche mariage fait par un de ses anciens amis, ou ri de bon cœur à l’annonce de la faillite d’un autre de ses amis, après avoir tisonné le feu une douzaine de fois avec impatience, en une heure, jurant après les pincettes et le mauvais charbon à chaque fois, après avoir fumé son dernier cigare et verni ses bottes de prédilection, regardé à la fenêtre, et après s’être miré mélancoliquement dans le petit miroir placé sur la cheminée, le capitaine pouvait constater que ses ressources intellectuelles étaient épuisées. Alors une colère nerveuse s’emparait de lui. En dépit de la pluie torrentielle, des nuages noirs qui chargeaient le ciel, il jetait ses pantoufles dans un coin, le coin le plus éloigné du salon de Mme Kepp, qui se trouvait, hélas ! tout près du fauteuil du capitaine, il mettait les plus fortes de ses bottes vernies qui ne l’étaient plus guère, il boutonnait son plus beau pardessus, ajustait son chapeau devant sa glace, et partait, parapluie en main, faire son tour dans