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Page:Braddon - Les Oiseaux de proie, 1874, tome I.djvu/94

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LES OISEAUX DE PROIE

phème, mais elle était trop naïve et trop innocente pour suivre la pensée de cet homme.

« Oh ! je vous en prie, ne parlez pas d’une manière aussi extravagante, monsieur, fit-elle d’un ton suppliant. Cela me rend trop malheureuse de vous entendre parler ainsi.

— Et pourquoi quelque chose de ce que je dis pourrait vous vendre malheureuse, Anna ? » demanda le locataire d’un ton sérieux.

Il y eut quelque chose dans cette interrogation qui mit le pâle visage de la jeune fille en feu, le fit tout rouge. Elle fut obligée de se pencher beaucoup sur son ouvrage pour cacher cette rougeur intempestive. Elle ne savait pas que le ton du capitaine présageait une demande sérieuse, elle ne savait pas que la grande crise de sa vie était près de s’accomplir.

Horatio était déterminé à faire un sacrifice. Le docteur lui avait dit qu’il devait la vie au dévouement de cette fille, et il eût été quelque chose de moins qu’un homme s’il ne s’était pas senti remué par un sentiment de gratitude. Dans les tristes heures de sa lente convalescence, il avait eu le temps de voir mieux la femme à qui il devait tout, en admettant que la pauvre et indigne créature valût quelque chose. Il comprit qu’elle lui était dévouée et qu’elle l’aimait plus sincèrement qu’il ne se souvenait jamais d’avoir été aimé. Il vit aussi qu’elle était belle. Le capitaine eût pu avoir de la reconnaissance pour une femme laide, mais jamais il n’aurait pensé à une femme laide comme il pensait à Anna. Ses réflexions aboutirent à ceci : elle était belle et elle l’aimait ; sa vie à lui était tout à fait misérable et solitaire ; il résolut donc de prouver sa gratitude par un sacrifice grand et noble. Avant que la jeune fille eût pu relever son visage