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Page:Bremer - La Vie de famille dans le Nouveau-Monde vol 1.djvu/230

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LA VIE DE FAMILLE

ble évoque magiquement avec une énergie admirable. Elle est forte, mais non pas grande ; son visage, sans être beau, est cependant joli, et surtout riche et magnifique d’expression. « Il y a cinquante sourires dans son sourire, » dit Marie Lowell, qui s’exprime toujours si bien.

Madame Kemble a été infiniment aimable pour moi, et m’a donné gratuitement un billet d’entrée pour ses « lectures. » Je puis y assister avec un ami. L’autre jour elle a lu mon drame favori de Shakspeare, Jules César, et d’une telle façon, que je me suis presque trouvée mal. À côté de ces splendides caractères héroïques et de leur vie, le présent et ma propre vie me paraissaient si pauvres, si vulgaires, si faibles, si décolorés, que j’en éprouvai une véritable angoisse. Ce sentiment s’accrut lorsque, tout émue encore par la lecture, je fus obligée, entre les actes et à la fin de la pièce, de me tourner à droite et à gauche pour répondre aux présentations et donner des poignées de main aux meilleures gens du monde peut-être, mais que dans ce moment je souhaitais tous ensemble dans la lune. Et puis, chaque fois qu’il y avait quelque chose de remarquable, soit dans la pièce, soit dans la manière dont elle était lue, une femme étrangère assise à côté de moi m’en avertissait amicalement avec son coude.

Quant aux personnes qui m’entourent, je suis obligée de les diviser en deux classes, ou plutôt en trois. L’une est aimable, pleine de bonté, d’esprit, d’une noble délicatesse, je n’en ai trouvé nulle part de plus agréables. La seconde manque de réflexion : ses intentions sont bonnes, mais elle me cause souvent un grand tourment, ne me laisse de repos ni à la maison, ni dehors, ni dans les églises, en un mot, nulle part ; elle ne comprend pas qu’on puisse désirer et avoir besoin de rester en paix. Beaucoup