Aller au contenu

Page:Bremer - La Vie de famille dans le Nouveau-Monde vol 1.djvu/24

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
8
LA VIE DE FAMILLE

vieille (cinquante ans environ), magnifique soprano, la jeune personne pâle et son amie, chantent des hymnes et autres morceaux, avec des gosiers qui s’accordent remarquablement. C’est suave et charmant. Les sons m’accompagnent la nuit comme des voix d’anges consolateurs, c’est le clair de lune sur le clapotis des vagues.

Dans la nuit d’hier, la mer étant fort agitée, le navire également, tous les objets mobiles ont été jetés pêle-mêle à terre, et j’ai songé aux parents laissés par moi à la maison. J’étais de méchante humeur et l’avouai à mes compagnes de voyage ; alors elles chantèrent d’une manière délicieuse des hymnes à trois voix jusqu’à minuit, en sorte que les flots soulevés en moi se calmèrent. Aujourd’hui le temps est meilleur et nous sommes tous gais ; mais quelques petits enfants sont tellement malades que cela fait peine. La nuit prochaine nous entrerons dans des eaux dangereuses. L’un des grands bateaux à vapeur allant d’Europe en Amérique s’est heurté, lors de son dernier voyage, contre les rescifs près de Halifax et a été fortement endommagé. Espérons que nous nous conduirons mieux. M. Judkins notre capitaine, est dit-on, un marin des plus distingués. Son commerce est agréable, son cœur excellent, il s’assied volontiers dans le salon auprès des dames, leur raconte des histoires et joue avec les enfants.

Je lis beaucoup à bord, où j’ai le temps de dévorer une foule de livres. J’ai lu les Confessions de Chateaubriand, mais sans beaucoup de plaisir. Que peut-on apprendre chez un autobiographe résolu, il l’avoue, à ne rien dire ni confesser sur son propre de ce qui pourrait blesser sa dignité ? Saint Augustin a écrit autrement ses Confessions ; il n’a songé qu’à l’œil éternel. La vanité de Chateaubriand me gâte son livre ; cependant j’ai gravé