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Page:Bremer - La Vie de famille dans le Nouveau-Monde vol 1.djvu/280

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LA VIE DE FAMILLE

foule des gens qui m’ont passé sous les yeux à New-York cette semaine. C’est peut-être à cause du contraste. J’ai vu Henry Clay chez Anne Lynch, l’une de ses amies qu’il considère le plus, et qui lui sert parfois de secrétaire. C’est un homme âgé très-grand et maigre, avec front chauve des plus élevés, une figure non pas jolie, mais pleine d’expression ; quoique disgracieux de sa personne, il n’en a pas moins un charme réel dans ses manières et dans le son plein de sa voix. Quand il veut, et Clay le veut toujours avec les femmes, il a une expression et des manières extrêmement obligeantes. Aussi est-il entouré d’adorateurs féminins, et l’on dit qu’il leur rend le même culte. Il vient de passer quelques jours à New-York, où il a été presque accablé d’amis, d’invitations, et m’a paru se complaire dans l’éclat de sa popularité plus qu’un homme de son âge ne devrait le faire, suivant moi. Il me semblait que Clay ne devait pas avoir la force de supporter cette belle et terrible vie de corvée !… Les Américains éprouvent plus d’enthousiasme pour leurs grands hommes politiques que les Européens pour leurs rois. Quoique de l’un des États à esclaves (le Kentucky), Henry Clay est, je crois, un homme indépendant, qui comprend et veut la véritable grandeur de son pays ; il n’est pas précisément de race yankee (les États du Sud-Ouest ont été peuplés par le parti politique anglais, appelé « les cavaliers, » l’opposé des puritains sous le rapport des mœurs et du caractère) ; Clay a cependant quelque chose du caractère pirate, qui distingue les fils du Nouveau-Monde. C’est un homme qui s’est fait lui-même (son père était un fermier pauvre), et la plus grande partie de sa vie a été une lutte continuelle sur la mer orageuse de la politique, où il a eu plusieurs duels. Comme sénateur, il a combattu pendant longues années par sa