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Page:Bremer - La Vie de famille dans le Nouveau-Monde vol 1.djvu/388

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LA VIE DE FAMILLE

moins à Libéria. « Quand je serai assez vieille pour ne plus avoir la force de travailler, dit-elle, mes maîtres prendront soin de moi. » Ainsi pensent bon nombre d’esclaves âgés ; ils ne se soucient nullement d’une liberté qui les obligerait à prendre soin d’eux-mêmes. C’est fort bien quand les maîtres sont bons et ne meurent pas avant leurs vieux serviteurs. Dans ce cas, leur sort est extrêmement incertain, et devient parfois, avec des maîtres étrangers, pire que celui des animaux domestiques.

Pendant mes visites dans quelques plantations, je me suis aperçue que les femmes des planteurs fixaient sur moi des yeux méfiants. L’une d’elles, fraîche, bonne, maternelle, ne m’en plut pas moins. Je lui demandai de parcourir le village à esclaves, près du corps de logis principal. Elle y consentit froidement et m’accompagna. Les mains (on appelle, dans le Sud, les nègres travailleurs les mains des champs) étaient occupées au dehors et leurs maisons fermées. Une couple d’entre elles cependant étant ouvertes, j’y entrai. Dans l’une était assis, sur son lit, un vieux nègre ayant mal au pied ; sa personne et toute sa maison annonçaient qu’il était bien traité. « On a soin de lui dans sa vieillesse, car c’est un de nos gens, dit madame E… à haute voix, de manière à être entendue des nègres. S’il était libre, il ne serait pas soigné comme cela. — Pourquoi pas ? pensai-je, ne voulant point parler haut à cause des nègres ; nous avons aussi nos propriétés en Suède, nous avons des serviteurs vieux et malades, et quoiqu’ils soient libres et reçoivent des gages qu’ils gagnent, nous ne considérons pas moins comme un devoir d’en prendre tout le soin possible dans leurs maladies et leur vieillesse, et, s’ils nous ont bien servi, de rendre cette vieillesse aussi heureuse que possible, tant que nos moyens le permettent.