Aller au contenu

Page:Bremer - La Vie de famille dans le Nouveau-Monde vol 1.djvu/84

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
68
LA VIE DE FAMILLE

parmi les groupes du grand salon rempli de monde. L’ami se rapprocha de l’ami ; les mères pressaient leurs enfants contre leur sein. Mes yeux tombèrent par hasard sur un homme de haute taille, d’un extérieur énergique et beau ; devant et près de lui était une petite femme dont il tenait la main pressée contre sa poitrine. J’étais, sans m’en rendre compte, un peu curieuse de voir le visage de cette femme. Elle tourna la tête, et sous son chapeau de paille je vis une figure noire sans aucun signe de beauté ; une vie muette, passionnée, y régnait comme dans l’atmosphère durant cette soirée orageuse et chaude, qui s’est gravée, ainsi que d’autres, en traits ineffaçables dans mon âme : tu les y verras un jour et sur le papier ; car tout ce que je sens fortement, profondément, je suis obligée, tu le sais, de le reproduire plus tard en paroles et en images.

Nous arrivâmes à New-York avec tempête et ténèbres, mais, du reste, très-confortablement à Astorhouse, où je fus bientôt assise intimement avec mes amis, prenant du thé et buvant du lait glacé exquis. « Pour entretenir la conversation avec vous, dit Downing lorsque nous eûmes fini, il faut, je crois, vous demander un — autographe. » Connaissant la terreur que m’inspire la manie américaine des autographes, il s’amuse souvent à mes dépens. Nous passâmes la soirée délicieusement en lisant chacun à notre leur nos poëtes favoris, Lowell, Bryant, Émerson. Il était minuit quand je me retirai dans ma chambre ; mais je restai longtemps encore levée, écoutant par ma fenêtre ouverte le petit clapotis de la pluie, m’enivrant de l’air balsamique, et laissant pénétrer en moi les aspirations d’une vie nouvelle.

Les Downing restèrent encore une couple de jours avec moi à Astorhouse, et dans cet intervalle nous visitâmes