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Page:Broglie - La morale évolutioniste.djvu/16

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illusoire persiste malgré le témoignage contraire de l’histoire, ou le spectacle de la variété des mœurs des différents peuples.

On peut ainsi expliquer l’origine de ces idées d’obligation et de sanction. Elles proviennent des anciennes associations d’idées qui se sont formées jadis, lorsque des lois répressives ou rémunératrices ont été établies dans les sociétés primitives. Les hommes se sont habitués à joindre, à l’idée de certaines actions, l’idée de prohibition ou de commandement et celle de châtiment et de récompense. Ces idées sont restées liées ensemble, et lors même que la société a cessé de récompenser ou de punir certains actes, ou même de les ordonner ou de les défendre, l’idée que ces actes sont obligatoires a subsisté. Enfin, comme toute loi suppose une législation, et toute sanction une puissance capable de rémunérer ou de venger, les hommes, ayant déjà conçu l’idée de la Divinité et de la prolongation de la vie au-delà de la tombe, ont supposé un tribunal céleste, créé par leur pensée à l’image du tribunal de la terre, et des châtiments futurs qui, semblables aux châtiments imposés par les lois pénales humaines, suppléent à ce que ceux-ci ont d’incomplet.

Ainsi se serait formée, par l’habitude, par l’association des idées et par l’accumulation des expériences passées et l’oubli de leurs conditions, l’idée d’un bien et d’un mal absolu, d’une loi nécessaire, éternelle et invariable, d’une obligation ayant sa source dans un principe supérieur à l’homme et sa sanction dans une autre vie. La morale du devoir, la morale absolue et même la morale religieuse, seraient le résultat de cette transformation des règles de conduite variables, contingentes et expérimentales des antiques sociétés.

Pour exposer plus clairement cette théorie, on peut tirer du règne animal un exemple. Certains naturalistes supposent que primitivement les chiens d’arrêt n’avaient pas cet instinct qui les porte à se tenir immobiles en face du gibier qu’ils fascinent. Comme tout autre chien, comme tout autre animal, ils se précipitaient sur leur proie. Mais il s’est trouvé dans le temps passé des chiens qui ont, soit par eux-mêmes, soit par l’effet de l’éducation humaine, pris cette habitude de s’arrêter dans leur essor vers leur proie. Cette habitude s’est transmise de génération en génération, et maintenant les chiens de bonne race tombent en arrêt la première fois qu’ils sont mis en présence du gibier.

Cela posé, suivant le système évolutioniste, le chien primitif qui apprend de lui-même, ou auquel le chasseur apprend à tomber en arrêt, c’est l’homme primitif qui, par divers motifs tirés de l’instinct social, apprend à régler sa conduite. Le chien d’arrêt en formation est retenu dans son essor par la crainte de la perte du gibier, ou par celle des châtiments. Le chien d’arrêt de race, qui s’arrête