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Page:Broglie - La morale évolutioniste.djvu/18

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de respect étrange pour les doctrines les plus immorales et les plus absurdes, du moment qu’elles revêtent le vêtement de la science ou se parent des couleurs d’une philosophie abstraite et technique. Du moment qu’une doctrine s’appuie sur l’hypothèse de révolution, ou qu’elle se trouve contenue dans les volumineux ouvrages d’Herbert Spencer, elle a droit de cité et on doit compter avec elle. Aussi, réservant pour les prochains articles la discussion des preuves de cette doctrine, nous allons en continuer l’exposé, et après avoir raconté, selon ces docteurs, le passé dé la morale, nous allons, en nous appuyant sur les mêmes principes, tirer l’horoscope de son avenir.


II


La morale du devoir, l’idée d’une obligation réelle gravée dans la conscience, l’idée que le bien est bien par soi-même, et que le mal est nécessairement le mal, l’idée que tout doit être sacrifié au devoir, sont, selon la doctrine évolutioniste, autant d’illusions et de préjugés. Il n’y a qu’une chose de vraie, c’est que les actes que nous appelons bons ont semblé jadis a nos aïeux, à tort ou à raison, utiles à la société, et que les actes que nous considérons comme mauvais leur ont semblé nuisibles. Tout ce qui dépasse l’affirmation de ce fait passé et oublié, tout ce qui, dans les croyances morales, implique un degré quelconque d’absolu, de transcendance et même de vérité objective actuelle, tout cela n’est qu’illusion et préjugé, tout cela est le résultat de la transformation inconsciente des idées de nos aïeux par la puissance magique et trompeuse de l’hérédité.

Ceci étant bien établi (car c’est la doctrine même), une conséquence évidente en sort inévitablement C’est que la vieille morale, la morale du devoir, va disparaître c’est qu’elle disparaîtra au fur et à mesure que sa véritable nature sera mieux connue. Rien n’est plus évident.

Le propre de la science, en effet, est de dissiper les illusions et les préjugés. Toute croyance mal fondée, placée en face d’une explication rationnelle de son origine, doit s’effacer ; tout comme une pièce fausse est rejetée dès qu’on a reconnu comment et par qui la falsification a été faite. On croyait autrefois la terre immobile la science a parlé, cette croyance a disparu. Le polythéisme a été la croyance presque universelle de l’humanité. Du moment qu’il est prouvé que les dieux païens ne sont que des phénomènes naturels personnifiés ou des héros divinisés, le polythéisme n’a plus de sectateurs. On a cru longtemps dans le peuple que les rois n’étaient pas des hommes comme les autres, que l’aristocratie de race était