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Page:Broglie - La morale évolutioniste.djvu/25

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Cet âge d’or dans l’avenir, ce paradis terrestre destiné à remplacer le ciel chrétien, fait partie, tout le monde le sait, du programme des sectes révolutionnaire !. Toutes promettent, si elles triomphent, une société parfaite dont tous les membres seront heureux : elles demandent seulement que l’on supprime auparavant toutes les inégalités sociales, qu’on débarrasse le monde d’un certain nombre de tyrans, et qu’on fasse tomber un certain nombre de têtes. Après cela viendra. le bonheur parfait.

Nous savons également que ce programme fantastique a été développé par des écrivains peu sérieux. M. About, particulièrement, n’a pas craint d’écrire que l’industrie est une providence. Elle fera, dit-il, des hommes sans préjugés et sans vices, comme elle a crée des taureaux sans cornes, le miracle n’est pas plus grand. Dans la bouche d’un esprit frivole comme M. About, comme dans celle d’un sectaire fanatique comme Pierre Leroux, une telle doctrine n’a rien qui doive surprendre. Mais nous avons le droit d’être étonné qu’un philosophe sérieux et grave, qu’un homme qui prétend s’appuyer sur les faits positifs et rejeter toute hypothèse métaphysique, tel qu’Herbert Spencer, se permette de présenter comme complément de la théorie des promesses chimériques de cette espèce[1].

Or nous voyons exposée dans cet auteur cette idée que le devoir et le plaisir sont identiques en eux-mêmes, que l’opposition apparente qui existe entre l’un et l’autre provient de ce que l’homme n’est pas encore adapté au milieu social. Il considère l’obligation morale comme un état transitoire qui provient de cette adaption imparfaite. Une fois l’évolution achevée et la société arrivée à sa perfection, la contrainte du devoir ne sera plus nécessaire, et chacun n’aura qu’à suivre ses attraits, qui le porteront vers son bien particulier, identique au bien général des hommes.

Nous ne nous arrêterons pas à discuter cette théorie. Cette société future où régneront la richesse, la paix et le bonheur, qui nous en garantit la naissance ? Ce n’est certes pas l’expérience. L’expérience nous montre les appétits de l’homme croissant avec ses ressources, ses besoins s’augmentant avec sa richesse elle nous prouve aussi, par de nombreux exemples, que l’homme d’aujourd’hui est capable de jalousie, de vengeance et de haine tout autant que l’homme d’autrefois. Il est possible que, grâce à certains progrès scientifiques et à l’adoucissement des mœurs, la somme des souffrances physiques diminue. Mais les raffinements créés par la civilisation tendent à augmenter les souffrances morales, qui sont, aussi bien

  1. Herbert Spencer, The Data of Ethics, chap. VII. L’idée de ce bonheur général devant être le terme de révolution se rencontre à tout instant dans cet auteur.