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Page:Broglie - La morale évolutioniste.djvu/48

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dise et quelque indifférence qu’on affecte, des perspectives si effrayantes, que tous ceux qui conservent un peu de bon sens et ne sont pas dupes d’une logique effrénée doivent en être épouvantés. Peut-être pour les rassurer sera-t-il utile de leur rappeler comment jadis l’humanité est sortie par ses propres forces d’une crise semblable.

Transportons-nous par la pensée dans la brillante Athènes, la capitale de la civilisation hellénique. Peu de temps après Périclès, à l’époque la plus glorieuse de l’histoire de cette ville, nous y trouverons un grand trouble régnant dans les esprits. Le polythéisme s’écroulait devant les attaques de la science naissante et fléchissait sous le poids du scandale de sa mythologie. Les vieilles mœurs, celles des générations qui avaient combattu à Marathon s’affaiblissaient, les liens de la famille se relâchaient, le luxe et la débauche prenaient un développement dangereux, et, ce qui était plus grave, la sophistique détruisait dans les esprits toutes les vieilles notions qui servaient à diriger la vie. La conscience semblait prête à disparaître en même temps que les traditions de courage et de vertu des aïeux. Un homme alors se leva, regarda en face les sophistes, leur infligea une flétrissure que la postérité a ratifiée, et reconstruisit la morale sur ses vraies bases.

Comment fit Socrate pour accomplir cette œuvre, pour retrouver les titres de la conscience, et la remettre en possession de sa légitime autorité. Son biographe nous l’apprend. Laissant à d’autres l’étude du monde extérieur, il se tourna vers l’étude de lui-même. Rentrant dans sa conscience, et dans le sanctuaire intime de sa raison, il y contempla ces idées éternelles que la parole humaine rend sensibles en les revêtant d’un vêtement subtil emprunté au monde matériel. Son habitude, nous dit Xénophon, était de résonner sur les idées générales. Il se demandait ce que c’était que la justice, la sainteté, l’honneur et la vertu, ce que c’était que le vice et le déshonneur. En contemplant ces nobles idées, il reconnut bien vite qu’éternelles et nécessaires, elles ne pouvaient sortir des sensations, que réelles et pleines d’être, elles ne pouvaient être considérées comme des chimères. Fixant ainsi son regard sur la partie divine de la nature humaine, il apprit à lui conserver sa place et à ne pas la laisser absorber ni cacher par la partie inférieure et animale. Ses disciples continuèrent son œuvre. Platon s’éleva de ces idées éternelles jusqu’à leur source première, il vit en elles les archétypes de toutes choses et les contempla vivantes dans la pensée du Bien suprême, du Dieu unique, source de tout bien et de toute justice. Aristote, revenant sur la terre, mais n’oubliant pas le monde supérieur qu’il avait contemplé, traça d’une main ferme la limite des