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Page:Broglie - La morale évolutioniste.djvu/55

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admettant que les idées morales et religieuses étaient nulle à cette première époque, on n’est pas en droit de conclure que la morale soit postérieure à l’existence des sociétés et qu’elle soit leur œuvre.

Il serait également contraire à la bonne logique de tirer de l’état sauvage primitif l’idée que la morale est relative et contingente. En effet, de ce que les hommes auraient acquis graduellement les idées morales, il ne s’ensuivrait nullement que ces idées ne soient pas absolues. Les vérités scientifiques, les lois des mathématiques, les principes de l’astronomie, ont été l’objet de découvertes successives. L’humanité ne s’est mise que lentement en possession de ces vérités, et pourtant qui doute que ce ne soient de vraies vérités, des vérités objectives, indépendantes de la connaissance que l’homme peut acquérir. Les lois de Newton étaient aussi vraies au temps de Thalès que de nos jours, et elles ne cesseraient pas d’être vraies parce que des opinions contraires prévaudraient dans l’humanité.

Pourquoi ne pas accorder aux notions morales le même caractère de vérités absolues ? Une fois connues, elles entraînent l’assentiment des hommes. Divisés quant à leurs mœurs et quant à certaines règles de conduite, les hommes de tous temps et de tous pays s’accordent a reconnaître dans l’Évangile un code parfait de morale. Que ce code vienne du ciel par révélation, ou que les hommes l’aient inventé, peu importe en ce moment pour la question qui nous occupe. La conscience humaine, une fois instruite, reconnaît l’évangile comme une vérité morale absolue, tout aussi bien que la raison reconnait la géométrie et l’astronomie pour de vraies sciences. L’état sauvage primitif et le développement progressif de la morale ne seraient donc nullement des arguments valables en faveur de la théorie évolutioniste. Renfermé dans le sein de l’histoire de l’humanité, ce progrès supposé des idées morales ne diffère pas des autres progrès humains, et diffère au contraire du tout au tout du prétendu progrès animal qui conduirait le polype et le zoophyte à devenir un homme en passant par l’intermédiaire d’une longue série d’animaux. Nous pourrions donc nous arrêter ici et, après avoir enlevé aux évolutionistes ce dernier argument, prononcer contre leur doctrine une condamnation définitive. Mais nous pensons qu’il y a mieux à faire.

Cette question de l’état du premier homme présente en elle-même un vif intérêt. S’il était prouvé que l’homme primitif a réellement été dépourvu de notions morales, l’universalité de ces notions serait affaiblie, et, bien que leur autorité absolue pût être défendue en bonne logique, l’idée naîtrait aisément dans les esprits que la morale, ayant commencé d’exister, pourrait périr comme toute chose