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Page:Broglie - La morale évolutioniste.djvu/61

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dégradations des notions morales que l’abus de la liberté, la violence des passions, les conséquences de la famine, de la guerre et du pillage ont pu amener. Quoi d’étonnant à ce que de grandes dépravations morales se rencontrent chez certains peuples ? L’équivalent de ces dépravations ne se trouve-t-il pas souvent chez les peuples civilisés ? Supposez un étranger, un habitant de l’extrême Orient ou des pays sauvages, qui vienne voyager dans nos pays, et en étudier les mœurs sans s’occuper des enseignements du christianisme et de la portion noble et élevée de notre littérature : la description qu’il fera des mœurs de l’Europe ne ressemblera-t-elle pas, sur beaucoup de points, à ce qui nous est dit par les voyageurs des mœurs de certains peuples barbares ?

On peut néanmoins constater, dans es récits des voyageurs, l’existence presque universelle de certaines idées religieuses, de certaines notions d’humanité, d’hospitalité, de respect de la foi jurée, et enfin des sentiments de famille. Les exceptions diverses que présentent certains peuples sont des anomalies partielles, dans lesquelles rien n’autorise à voir une des étapes de la civilisation primitive, ni une lacune véritable dans la conscience humaine. Elles s’expliquent soit par les passions humaines, soit par l’abus de la liberté et l’influenee de l’éducation, qui peut transmettre à l’état de coutume des actes vicieux. Aussi, d’une part, rien ne peut prouver que les sauvages actuels soient semblables aux hommes primitifs, et, d’autre part les notions morales et religieuses existent en général chez la plupart des peuples sauvages ; elles y sont souvent plus ou moins profondément altérées, mais elles y existent et les anomalies partielles s’expliquent de la même manière que les coutumes vicieuses que l’on trouve chez les peuples civilisés et même chez les peuples chrétiens.

Le second argument en faveur de la sauvagerie primitive se tire de la paléontologie. On a trouvé, dans nos contrées, des ossements humains mêlés aux ossements d’animaux appartenant à une période géologique antérieure à celle où nous vivons. Ces hommes habitaient, dit-on, dans des cavernes ; leur vie se passait à la chasse ; sans autres armes que des cailloux taillés, ils luttaient contre les ours et les bêtes féroces gigantesques qui habitaient les mêmes contrées. Ces hommes, nous dit-on, sont les vrais hommes primitifs, et comme ce sont des chasseurs, sans agriculture, sans animaux domestiques, ce doivent être des sauvages sans morale et sans religion. Autant d’assertions hasardées et sans preuves. Qui nous garantit que ces hommes des cavernes sont les vrais hommes primitifs ? Pourquoi n’appartiendraient-ils pas à une race inférieure, pourchassée dans des contrées glacées et peu favorables à la vie