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Page:Broglie - Souvenirs, 1785-1817.djvu/115

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d’affaires, au besoin même un homme d’État de premier ordre.

Entré dans le monde, au plus fort de l’effervescence des idées de 1789, il les avait poussées, de bonne heure, fort au delà de leur portée légitime. Il était socialiste de cœur et de conviction. Il croyait et professait, dès qu’il avait chance d’être compris, que, la répartition des biens de ce monde étant l’œuvre de la violence et de la fraude, il y avait lieu à la régulariser par une transaction équitable. Il croyait que, ce serait, le cas échéant, un devoir pour l’homme de bien de se dévouer à la poursuite d’une telle entreprise ; et, toutes les fois qu’une crise politique s’annonçait ou se consommait, il était cet homme de bien ; il était prêt à risquer, pour sa cause (c’était bien la sienne, car lui seul y était de bonne foi, et sans retour personnel), sa fortune et sa vie.

Hors de là, et dans le cours régulier des choses, M. d’Argenson était un homme d’une sagacité rare d’un esprit droit et ferme, d’un cœur élevé laborieux, appliqué, rigoureux dans l’exercice de ses droits, très clairvoyant sur les hommes, qu’il estimait en masse au delà de toute mesure, et méprisait individuellement plus que de raison ; d’une