Aller au contenu

Page:Broglie - Souvenirs, 1785-1817.djvu/137

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Cette colère jugea à propos d’éclater le 2 ou le 3 janvier 1811. Elle n’avait rien d’imprévu. On s’y attendait, le Conseil d’État en devait être le théâtre ; aussi, en se réunissant, chacun parlait bas à son voisin ; on faisait, tout au plus, semblant de discuter. L’empereur entra, à l’heure accoutumée. Je ne dirai point que son visage était sévère, je dirai plutôt qu’il portait sur son visage un masque de sévérité ; tout était joué dans la scène qu’il préparait.

Il s’assit, prit son binocle, et en dirigea les deux branches sur M. Portalis. Cela fait, il appela sur l’ordre du jour une première affaire, et la mit en discussion, interrogeant pour qu’on lui répondît.

Après avoir renouvelé ce jeu plusieurs fois, comme un chat qui guette une souris avant de lancer sur elle sa griffe, il se tourna vers l’archichancelier, et lui demanda si M. Portalis était là. Celui-ci s’étant incliné affirmativement, il s’élança sur sa victime, comme un oiseau de proie, et la secoua, pour ainsi dire, pendant plus d’une heure et demie, sans lui laisser ni le temps de répondre, ni presque celui de respirer. Enfin, quand son vocabulaire d’invectives fut épuisé, et que l’haleine