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Page:Broglie - Souvenirs, 1785-1817.djvu/299

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comme dépositaires de grandes vérités et sur la voie de beaucoup d’autres. Il avait renversé le plan de son livre et nous disait en riant :

— J’avais réuni trois ou quatre mille faits à l’appui de ma première thèse ; ils ont fait volte-face à commandement, et chargent maintenant en sens opposé. Quel exemple d’obéissance passive !

Bref, de sceptique il était devenu mystique, et rien n’est au fond plus naturel. Le scepticisme est une excellente machine de guerre ou un très bon oreiller pour la paresse mais, pour un penseur, ce n’est point un port dans la tempête, c’est au contraire une rade ouverte à tous les vents ; on se fatigue à battre l’eau, sans cesse et sans but, et de guerre lasse le mysticisme devient le coup de désespoir de la logique aux abois.

J’ajoute qu’en ceci Benjamin Constant ne s’en tenait pas à la pure spéculation, la pratique même était de la partie, si tant est que pratique il y ait chez les mystiques. Il était là, en Suisse, avec la très célèbre alors madame de Krudener, qui rachetait les torts de son bel âge et le roman de son âge mûr, en convertissant les sociniens de Genève et en régentant, à Lausanne, tout un petit groupe de semi-catholiques plus dévots à madame Guyon qu’à