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Page:Broglie - Souvenirs, 1785-1817.djvu/336

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préfet de Nantes, et l’un des défenseurs de la Restauration dans la crise de 1830. Je l’avais connu dès ma jeunesse ; il venait souvent aux Ormes ; son père vivait près de Poitiers, dans une fort belle maison, entourée d’un grand jardin, orné lui-même de statues. Un jour que je m’y promenais avec lui, il me montra la statue connue sous le nom du Rémouleur, et me l’expliqua en ces termes :

« C’était un esclave ; en aiguisant son couteau, il entendit le complot formé pas les fils de Brutus en faveur de Tarquin, et il en parla à Porcie, femme de Brutus et lui remit le couteau ; celle-ci s’en donna un grand coup dans la cuisse, et le tendit à son mari, en lui disant : Pœte, non dolet. »

Naturellement le fils d’un tel père n’avait pas été trop bien élevé ; mais, sans être à ce point d’érudition, il ne manquait pas de bonne opinion de lui-même. À peine majeur, il avait mangé follement tout son petit bien, et, devenu auditeur comme moi, je l’avais rencontré une première fois, intendant à Fiume, où il s’était fait une sotte querelle avec le général Bachelet ; puis une seconde fois en Pologne, où il s’était fait une querelle encore plus sotte, laquelle lui valut un coup de pistolet dont il n’a jamais bien guéri. Je l’avais perdu de vue,