Page:Bronte - Shirley et Agnes Grey.djvu/149

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trop exclusivement à gagner de l’argent ; elles sont trop oublieuses de toute considération, excepté de celle d’étendre le commerce de leur pays, c’est-à-dire le leur. Les sentiments chevaleresques, le désintéressement, l’orgueil de l’honneur national, sont trop morts dans leur cœur. Une nation gouvernée par elles serait exposée trop souvent à faire de honteuses soumissions, nullement par les motifs qu’enseigne le Christ, mais par ceux qu’inspire Mammon. Durant la dernière guerre, les négociants de l’Angleterre eussent enduré un soufflet sur les deux joues ; ils eussent donné leur manteau à Napoléon, et ils lui eussent offert ensuite poliment leur habit ; ils n’eussent pas même retenu le gilet, si on le leur avait demandé. Ils eussent sollicité seulement la permission de conserver leur autre vêtement, moins pour la décence que pour leur bourse renfermée dans les poches. Aucune étincelle de courage, nul symptôme de résistance ne seraient venus d’eux avant que le bandit corse, comme ils l’appelaient, n’eût mis la main sur cette bourse bien-aimée ; alors peut-être, transformés tout à coup en bouledogues anglais, ils eussent sauté à la gorge du voleur, s’y fussent attachés, y fussent restés suspendus, opiniâtres, insatiables, jusqu’à ce que le trésor leur fût rendu. Les marchands, lorsqu’ils parlent contre la guerre, la maudissent toujours comme un acte sanglant et barbare : vous diriez, à les entendre, qu’ils jouissent d’une civilisation exceptionnelle, qu’ils sont tout particulièrement doux et bienveillants envers leurs semblables. Il n’en est rien. Beaucoup d’entre eux sont des hommes à l’esprit étroit, au cœur froid, qui n’ont de bons sentiments pour nulle autre classe que la leur, indifférents et même hostiles à toutes les autres, qu’ils appellent inutiles et dont ils contestent les droits, auxquelles ils voudraient enlever jusqu’à l’air qu’elles respirent, et la faculté de boire, de manger et de demeurer dans des maisons décentes. Ils ne savent rien de ce que les autres font pour servir, amuser ou instruire leur race ; ils ne veulent pas perdre leur temps à s’en enquérir. Tout ce qui n’est pas dans le commerce est accusé de manger le pain de l’oisiveté et de mener une existence inutile. Puisse l’Angleterre ne pas devenir de longtemps une nation de boutiquiers !

Nous avons déjà dit que Moore n’était pas un dévoué patriote, et nous avons expliqué quelles circonstances le portaient à diriger son attention et ses efforts vers son intérêt individuel ; c’est pourquoi, lorsqu’il se sentit une seconde fois au