Page:Bronte - Shirley et Agnes Grey.djvu/165

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avantages lui parurent n’être que les belles formes de l’égoïsme, et elle les foula mentalement aux pieds.

Elle sentait, il est vrai, avec peine que la vie qui avait fait miss Ainley heureuse ne pouvait lui donner le bonheur : toute pure et tout active que fût cette existence, elle lui paraissait profondément triste, parce qu’elle était si dépourvue d’amour, selon elle, si abandonnée ! Cependant elle réfléchit sans doute qu’il ne fallait que l’habitude pour la rendre possible et même agréable à qui que ce fût. Elle comprit qu’il était méprisable de dépérir sentimentalement, de caresser de secrètes douleurs, de vains souvenirs ; de rester dans l’inertie, de perdre sa jeunesse dans une douloureuse langueur, et de vieillir sans rien faire.

« Je veux me mettre en mouvement et essayer d’être sage, si je ne peux devenir bonne, » fut sa résolution.

Elle demanda alors à miss Ainley si elle pouvait l’aider en quelque chose dans ses œuvres de bienfaisance. Miss Ainley lui dit qu’elle le pouvait, et lui indiqua, quelques pauvres familles de Briarfield qu’il serait bon qu’elle visitât ; elle lui donna également, sur sa demande, quelques travaux à faire pour certaines femmes pauvres qui avaient de nombreux enfants et qui étaient inhabiles aux travaux d’aiguille.

Caroline retourna à la rectorerie, traça ses plans et prit la résolution de n’en pas dévier. Elle consacra une partie de son temps à ses diverses études, et l’autre partie aux travaux que lui pourrait demander miss Ainley ; le reste devait être donné à l’exercice : aucun moment n’était laissé aux pensées fiévreuses qui avaient empoisonné la soirée du dimanche précédent.

Il faut lui rendre cette justice, qu’elle mit à exécution ses plans consciencieusement et avec persévérance. Ce fut un dur labeur tout d’abord, ce fut un dur labeur jusqu’à la fin ; mais il l’aida à combattre et à vaincre sa douleur, il la tint occupée, l’empêcha de songer au passé, et des éclairs de satisfaction vinrent illuminer sa vie monotone, lorsqu’elle avait la conscience d’avoir fait du bien, d’avoir causé du plaisir ou adouci des souffrances.

Cependant je dois dire La vérité : ces efforts ne lui donnèrent ni la santé du corps ni la continuelle paix de l’âme ; elle dépérit, elle devint de jour en jour plus triste et plus pâle ; le nom de Moore ne pouvait sortir de sa mémoire : une élégie du passé résonnait constamment à son oreille ; un cri intérieur se fai-