Page:Bronte - Shirley et Agnes Grey.djvu/173

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tomne : ayant bravé les dernières gelées du printemps, elle peut braver les premières gelées de l’hiver.

Chacun remarquait le changement qui s’était opéré en miss Helstone, et beaucoup disaient qu’elle allait mourir. Elle ne pensa jamais ainsi ; elle ne se sentait point en danger de mort.

Elle n’avait ni douleur physique ni maladie. Son appétit était diminué ; elle en savait la raison : elle pleurait tant pendant la nuit ! Sa force était diminuée ; elle pouvait se rendre compte de cela : son sommeil était rare et difficile, ses songes étaient désespérants et malheureux. Elle paraissait cependant prévoir un temps où ce passage de misère serait franchi, et où elle pourrait de nouveau retrouver le calme, sinon le bonheur.

Cependant son oncle la pressait d’aller en visite, d’accepter les fréquentes invitations de leurs connaissances. Elle s’y refusait : elle ne pouvait se montrer gaie en compagnie ; elle sentait qu’elle était observée avec plus de curiosité que de sympathie. Les vieilles ladies lui donnaient sans cesse des conseils, lui recommandant telle ou telle drogue ; les jeunes la regardaient avec une expression dont elle comprenait le sens et dont elle avait horreur. Leurs yeux exprimaient la conviction qu’elle avait été désappointée (c’est le mot consacré) ; par qui ? elles n’en savaient rien.

Les vulgaires jeunes ladies peuvent être aussi dures que les vulgaires gentlemen, aussi mondaines, aussi égoïstes. Ceux qui souffrent les devraient toujours éviter ; elles méprisent le chagrin et le malheur ; elles semblent les regarder comme le lot que Dieu a réservé aux humbles. Pour elles, l’amour consiste à organiser ses plans de façon à arriver à un bon mariage ; être désappointée, c’est voir ses plans percés à jour et échouer. Elles jugent les sentiments et les projets des autres sur l’amour d’après les leurs, et les jugent sans pitié.

Caroline savait tout cela, partie par instinct, partie par observation ; elle régla sa conduite d’après cette connaissance, se tenant à l’écart le plus possible. Vivant ainsi dans une complète retraite, elle cessa d’apprendre ce qui se passait dans le voisinage.

Un matin, son oncle entra dans, le petit parloir où elle essayait de trouver quelque plaisir en peignant un petit groupe de fleurs sauvages cueillies sous une haie en haut de la colline de Hollow, et lui dit de son ton brusque :

« Allons, enfant, vous êtes toujours là courbée sur une pa-