Page:Bronte - Shirley et Agnes Grey.djvu/354

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« Ma chère, vous feriez mieux de ne pas avoir ce grand chien si près de vous ; il froisse tout le bord de votre robe.

— Oh ! ce n’est que de la mousseline, j’en puis mettre une blanche demain.

— Ma chère, je voudrais vous voir prendre l’habitude de vous asseoir à une table lorsque vous lisez.

— J’essayerai quelque jour, madame : mais il est si bon de faire comme l’on a toujours fait !

— Ma chère, laissez-moi vous prier de quitter ce livre ; vous vous abîmez les yeux à la clarté douteuse de ce feu.

— Pas le moins du monde, madame, mes yeux ne sont jamais fatigués. »

À la fin, cependant, une pâle lumière venant de la fenêtre tombe sur la page ; Shirley regarde, la lune est levée ; elle ferme le livre, se lève et parcourt la chambre. Son livre était peut-être bon ; il a rafraîchi, rempli, réchauffé son cœur. Le tranquille parloir, le foyer propre, la fenêtre par laquelle on découvre la douce reine des nuits radieuse sur son nouveau trône, suffisent pour faire de la terre un Éden, de la vie un poème pour Shirley. Un calme et profond délice enflamme ses jeunes veines, délice sans trouble et sans mélange, qu’aucun pouvoir humain ne peut lui ravir, parce qu’aucun pouvoir humain ne le lui a accordé ; le pur don de Dieu à sa créature, le libre présent de la nature à son enfant. Cette joie lui donne un avant-goût de la vie des anges. Prenant son essor par des chemins verdoyants, par de joyeuses collines toutes de verdure et de lumière, elle atteint un point presque aussi élevé que celui d’où les anges regardaient le rêveur de Béthel, et son œil scrute, son âme possède la vision de la vie telle qu’elle la désire. Non, pas telle qu’elle la désire, elle n’a pas le temps de désirer ; la gloire multiplie ses splendeurs plus rapidement que la pensée ne peut effectuer ses combinaisons, que l’aspiration ne peut formuler ses désirs. Shirley ne dit rien pendant cette extase, elle est tout à fait muette ; mais, si mistress Pryor lui adresse la parole, elle sort tranquillement et va continuer sa promenade dans l’obscure galerie de l’étage supérieur.

Si Shirley n’était une indolente, une insouciante, une ignorante créature, elle prendrait la plume en de tels moments, ou du moins pendant que leur souvenir est frais dans son esprit ; elle saisirait, elle fixerait l’apparition, elle raconterait la vision