Page:Bronte - Shirley et Agnes Grey.djvu/385

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« Puis-je retourner au lit ? » demanda aussitôt Caroline.

Sa garde l’aida à se recoucher. Après avoir tiré le rideau, elle s’assit à côté du lit et prêta l’oreille. La petite couche tremblait, le sanglot troublait le silence. Les traits de mistress Pryor se contractèrent comme sous une profonde angoisse ; elle se tordit les mains : un gémissement étouffé s’échappa de ses lèvres. Elle se rappelait maintenant que le mardi était jour de marché à Whinbury ; ces jours-là, M. Moore en s’y rendant devait passer avant midi auprès de la rectorerie.

Caroline portait continuellement autour de son cou une mince tresse de soie à laquelle était attaché certain colifichet. Mistress Pryor avait vu briller l’or, mais elle n’avait pu voir encore ce qu’était cet objet. Sa malade ne s’en séparait jamais. Lorsqu’elle était habillée, il était caché sur son sein ; lorsqu’elle était couchée, elle le tenait dans sa main. L’après-midi de ce mardi, l’assoupissement, plus semblable à la léthargie qu’au sommeil, qui abrégeait quelquefois les longs jours, s’était appesanti sur elle : il faisait très-chaud ; en se retournant dans une agitation fébrile, elle avait rejeté ses couvertures ; mistress Pryor se pencha pour les replacer ; la petite main amaigrie et inerte de la jeune fille, étendue sur sa poitrine, tenait comme de coutume son précieux trésor : ses doigts, dont l’émaciation faisait peine à voir, étaient en ce moment desserrés pendant le sommeil. Mistress Pryor enleva doucement la tresse, en pressant sur un petit ressort. C’était un bien modeste bijou, et proportionné à la petite bourse de celle qui l’avait acheté ; sous sa face de cristal paraissait une boucle de cheveux noirs, trop courts et trop frisés pour des cheveux enlevés à la tête d’une femme.

Un mouvement agité occasionna un tiraillement du cordon de soie ; la dormeuse tressaillit et s’éveilla. Ses pensées étaient en ce moment ordinairement flottantes lorsqu’elle s’éveillait, ses regards généralement errants. Se levant à moitié comme frappée de terreur, elle s’écria :

« Ne me l’enlevez pas, Robert, ne me l’enlevez pas ! C’est ma dernière consolation, laissez-la-moi ! Je n’ai jamais dit à personne de qui sont ces cheveux ; je ne les ai jamais montrés à personne. »

Mistress Pryor avait déjà disparu derrière le rideau ; appuyée très en arrière sur la grande chaise de repos à côté du lit, elle n’était pas en vue. Caroline regarda à travers la chambre ; elle la crut vide. Comme ses idées vagabondes revenaient lente-