Page:Bronte - Shirley et Agnes Grey.djvu/391

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aliment de ma maladie. Je pense quelquefois qu’un peu de bonheur me ferait promptement revivre.

— Désirez-vous vivre ?

— Rien ne me rattache à la vie.

— M’aimez-vous, Caroline ?

— Beaucoup, sincèrement, quelquefois d’une façon inexprimable. En ce moment même, je voudrais pouvoir confondre mon cœur avec le vôtre.

— Je vais revenir à l’instant, ma chérie, » dit mistress Pryor, en reposant Caroline sur son oreiller.

Elle se glissa légèrement vers la porte, tourna doucement la clef dans la serrure, s’assura qu’elle était fermée, et revint auprès du lit. Elle écarta le rideau pour laisser arriver plus librement la lumière de la lune, et regarda fixement Caroline.

« Alors, si vous m’aimez, dit-elle avec volubilité et d’une voix altérée, si vous désirez confondre votre cœur avec le mien, vous n’éprouverez ni choc ni douleur en apprenant que ce cœur est la source qui a rempli le vôtre ; que de mes veines est issue la vie qui coule dans les vôtres ; que vous êtes à moi, ma fille, ma propre enfant…

— Mistress Pryor !

— Ma propre enfant.

— C’est-à-dire… cela signifie… que vous m’avez adoptée ?

— Cela signifie que, si je ne vous ai donné rien d’autre, je vous ai donné au moins la vie, que je vous ai portée dans mon sein, que je vous ai nourrie, que je suis votre véritable mère. Aucune autre femme ne peut réclamer ce titre ; il est le mien.

— Mais mistress James Helstone, mais la femme de mon père, que je ne me rappelle pas avoir jamais vue, elle est ma mère ?

— Elle est votre mère. James Helstone fut mon époux. Je l’ai prouvé. Je pensais que peut-être vous étiez toute à lui, ce qui eût été une cruelle affliction pour moi. Je trouve qu’il n’en est pas ainsi. Dieu m’a permis d’être la mère de l’esprit de mon enfant : il m’appartient ; c’est ma propriété, mon droit. Ces traits sont les propres traits de James. Il avait un beau visage, lorsqu’il était jeune et non dégradé par le vice. Papa, ma chérie, vous a donné vos yeux bleus et vos soyeux cheveux bruns ; il vous a donné l’ovale du visage et la régularité des traits ; il vous a conféré l’extérieur ; mais le cœur et le cerveau sont à moi. Leurs germes sont les miens, et ils se sont développés et amé-