Page:Bronte - Shirley et Agnes Grey.djvu/477

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— Elle n’était jamais avec vous plus de trois heures, ou au plus six, chaque jour.

— Quelquefois elle renversait le thé qui était dans ma tasse, et dérobait les mets qui étaient dans mon assiette ; et quand elle m’avait tenu à la diète tout un jour… et cela me convient peu, car j’ai coutume de savourer mes repas avec un plaisir raisonnable, et d’attacher une certaine importance à la réparation des forces de la créature…

— Je le sais. Je puis dire quelle sorte de dîner vous aimez le mieux. Je connais les plats que vous préférez.

— Elle me dérobait ces plats savoureux, et se moquait de moi par-dessus le marché. J’aime à bien dormir. Dans mes jours tranquilles, quand j’étais moi-même, je ne maudissais jamais la nuit pour sa longueur ni ma couche pour ses épines. Elle a changé tout cela.

— Monsieur Moore !…

— Et m’ayant ravi le pain de l’esprit et le confort de ma vie, elle me ravit encore sa présence : elle me quitta froidement, absolument comme si elle eût pensé qu’elle partie, le monde demeurait pour moi le même qu’auparavant. Je savais que je devrais la revoir quelquefois. Au bout de deux ans, il arriva que nous nous rencontrâmes de nouveau sous son propre toit, où elle était maîtresse. Comment pensez-vous qu’elle se conduisit envers moi, miss Keeldar ?

— Comme une personne qui avait bien profité des leçons qu’elle avait apprises de vous.

— Elle me reçut avec hauteur : elle mesura entre nous un large espace et me tint à distance par le geste réservé, le regard rare et froid, la parole strictement polie.

— Elle se montrait excellente élève. Vous ayant vu si réservé, elle avait appris à l’être. Admirez, je vous prie, dans sa hauteur un sensible progrès sur votre propre froideur.

— Ma conscience, mon honneur et les plus despotiques nécessités m’éloignaient d’elle, et me retenaient par leurs chaînes pesantes. Elle était libre ; elle eût pu se montrer compatissante.

— Non pas libre de compromettre sa dignité personnelle, de chercher celui qui l’évitait. »

Puis elle fut inconséquente : « Je vis bientôt se renouveler mon supplice de Tantale. Lorsque je croyais avoir pris sur moi assez d’empire pour ne la considérer que comme une hautaine