Page:Bronte - Shirley et Agnes Grey.djvu/643

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de leur avoir montré le mal de ce passe-temps, et j’espérais un jour les amener à quelque sentiment général de justice et d’humanité ; mais dix minutes passées à dénicher des oiseaux avec l’oncle Robson suffisaient pour détruire le fruit de tous mes raisonnements. Heureusement pourtant, ce printemps-là, ils ne trouvèrent jamais, à l’exception d’une seule fois, que des nids vides ou des œufs, et ils étaient trop impatients pour attendre que les petits fussent éclos. Cette fois-là, Tom, qui était allé avec son oncle dans la plantation voisine, revint tout joyeux en courant dans le jardin, avec une nichée de petits oiseaux dans les mains. Mary-Anne et Fanny, que je menais prendre l’air en ce moment, coururent pour admirer sa prise et demander chacune un oiseau pour elles. « Non, pas un, s’écria Tom, ils sont tous à moi : l’oncle Robson me les a donnés ; un, deux, trois, quatre, cinq ; vous n’en toucherez pas un, non, pas un ! Sur votre vie ! continua-t-il d’un air de triomphe, posant le nid à terre, et se tenant debout les jambes écartées, les mains dans les poches de son pantalon, le corps penché en avant et le visage contracté par les contorsions d’une joie poussée jusqu’au délire.

« Vous allez voir comment je vais les arranger ! Ma parole, je vais les faire bouillir. Vous verrez si je ne le fais pas. Il y a dans ce nid un rare passe-temps pour moi.

— Mais, Tom, lui dis-je, je ne vous permettrai pas de torturer ces oiseaux. Il faut les tuer tout de suite ou les reporter à l’endroit où vous les avez pris, afin que leurs parents puissent continuer à les nourrir.

— Mais vous ne savez pas où c’est, madame ; il n’y a que moi et l’oncle Robson qui le sachions.

— Si vous ne voulez pas me le dire, je les tuerai moi-même, quelque horreur que j’aie de cela.

— Vous n’oserez pas ! vous n’oserez les toucher, sur votre vie ! parce que vous savez que papa, maman et l’oncle Robson seraient fâchés. Ah ! ah ! je vous ai prise là, miss !

— Je ferai ce que je crois juste en une circonstance de cette sorte, sans consulter personne. Si votre papa et votre maman ne m’approuvent pas, je serai fâchée de les offenser ; mais l’opinion de votre oncle Robson n’est rien pour moi. »

Poussée par le sentiment du devoir, au risque de me rendre malade et d’encourir la colère des parents de mes élèves, je m’emparai d’une large pierre plate qui avait été placée là