Page:Bronte - Shirley et Agnes Grey.djvu/749

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— Vous me l’avez dit vous-même, me répondit-il. Vous m’avez dit, du moins, que vous ne pouviez vivre contente sans un ami, et que vous n’aviez aucun ami ici et aucune possibilité d’en faire un ; et d’ailleurs, je sais que vous devez avoir ce lieu en aversion.

— Mais, si vous vous en souvenez bien, je vous ai dit, ou j’ai eu l’intention de vous dire que je ne pourrais vivre heureuse sans un ami au monde ; je ne suis pas si déraisonnable que de le vouloir toujours près de moi. Je crois que je pourrais vivre heureuse dans une maison remplie d’ennemis, si… » Je sentis que j’allais trop loin. Je coupai là ma phrase et ajoutai vite : « Et, du reste, on ne peut quitter un lieu où l’on a vécu deux ou trois ans sans quelque sentiment de regret.

— Est-ce que vous aurez regret de vous séparer de miss Murray, la seule élève et compagne qui vous reste ?

— Je conviens que j’en aurai quelque regret ; ce ne fut pas sans chagrin que je me séparai de sa sœur.

— Je comprends cela.

— Eh bien, miss Mathilde est aussi bonne, meilleure que sa sœur, sous un rapport.

— Et lequel ?

— Elle est honnête.

— Et l’autre ne l’est pas ?

— Je ne puis dire qu’elle n’est pas honnête ; mais je dois confesser qu’elle est un peu artificieuse.

Artificieuse ? J’ai vu d’abord qu’elle était légère et vaine ; et, maintenant, ajouta-t-il après une pause, je puis croire qu’elle était rusée et adroite aussi, et si profondément, qu’elle pouvait prendre les dehors de l’extrême simplicité et de la candeur. Oui, continua-t-il comme en réfléchissant, cela m’explique de petites choses qui m’intriguaient un peu auparavant. »

Après cela, il tourna la conversation sur des sujets plus généraux. Il ne me quitta que lorsque nous eûmes presque atteint les portes du parc : il s’était certainement un peu écarté de son chemin pour m’accompagner si loin, car il retourna en arrière et disparut derrière Moss-Lane, endroit devant lequel nous avions passé. Assurément je ne regrettai pas cette circonstance : si le chagrin avait pu trouver place dans mon cœur, c’eût été qu’il fût parti, qu’il ne marchât plus à mon