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Page:Brossard - Correcteur typographe, 1924.djvu/200

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LE CORRECTEUR TYPOGRAPHE

Si « le cas de renvoi pour intempérance ne se présente jamais », affirme M. E. Lequesne, si le type du correcteur « poivreau » se rencontre rarement, avons-nous dit, plus fréquent certes est celui du « correcteur négligé ».

Le chef couvert d’une toque crasseuse, abaissée sur le front ou laissant effrontément paraître une calvitie complète, il promène, au long des galeries, des feuillets maculés de taches multiples. Les manchettes retombées aux coudes, le veston élimé et verdâtre, les pieds chaussés de pantoufles éculées, il est l’objet de la curiosité générale. La voix haute, il explique avec nervosité au metteur « les bourdes et les idioties » d’épreuves « dégoûtantes », que plus que tout autre il a contribué à salir. Et chacun se retourne sur ce « Vieux Pupitre » dont la physionomie ne laisse pas que d’être surprenante : deux verres sur lesquels des doigts huileux ont marqué leur trace au milieu de la poussière surmontent un nez que la poudre à Nicot pique de points noirâtres[1] ; un visage blafard s’adorne (!) d’une barbe hirsute que, chaque quinzaine, l’artiste capillaire du coin savonne rageusement. La conscience de ce phénomène est, s’il faut le croire, pure de tout méfait, blanche comme celle d’une colombe ; on n’en pourrait dire autant de son linge et de ses mains. Ce correcteur de sa vie ne lut un traité d’hygiène et ne sut, dès lors, sur ce point se corriger lui-même. De son ancêtre Diogène le Cynique il a conservé nombre de qualités. À droite et à gauche, au hasard de courses incessantes, il expectore maints bacilles « virgule ». Heureux serez-vous si quelque malencontreux rhume, à côté d’un pâté d’encre, ne macule point vos épreuves d’une marque de couleur caractéristique.

« Instruit, correcteur expérimenté, mais irascible et pointilleux, au moindre mot il s’offense, il tempête. » Pour la plus petite vétille, pour la plus minime contradiction il « lâche le plat qu’il récure » et menace de rendre son tablier. À l’instar du latin, « dans ses mots il brave l’honnêteté », mais, bien que peu français, « il veut être respecté ».

  1. A.-T. Breton, Physiologie du Correcteur d’imprimerie, p. 45 : « Dans sa sainte abnégation de toutes les choses de ce monde, et surtout des épreuves, n’étaient les énormes besicles qui d’ordinaire enfourchent son nez, dont la dimension et les nombreuses aspérités ne nous offrent pas toujours la forme gracieuse d’un nez fait à l’image du Créateur, je le donnerais entre mille comme le modèle le plus parfait, comme le polytypage enfin du premier homme, tant il est beau d’abandon et de simplicité dans la solennité du septième jour consacré au repos par le divin Protecteur de l’Humanité. »