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Page:Brossard - Correcteur typographe, 1924.djvu/215

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emporter de l’imprimerie ni copies, ni épreuves ; il était également strictement défendu de raconter à des étrangers ce qui se faisait, se passait ou se disait à l’imprimerie, sous peine de 5 deniers d’amende. »

Plantin imposait à son personnel l’obligation de pratiquer la discrétion : les manquements à cette vertu qu’il put constater et réprimer furent-ils pour lui une source de revenus élevés, ou bien plutôt eut-il à considérer seulement le bénéfice moral qu’il retira du silence volontaire de ses ouvriers : cette dernière opinion semble la plus probable. Le « secret professionnel » typographique n’est point le monopole de notre époque.

Les exemples sont fort rares dans notre corporation d’indiscrétions ouvrières préjudiciables aux intérêts des patrons. Nous avons encore présent à l’esprit le récit détaillé de certaines perquisitions effectuées, en des jours de luttes politiques mauvaises, dans les bureaux de rédaction de quelques journaux hostiles au gouvernement républicain, ou même dans les ateliers d’imprimeries dont les propriétaires ou les actionnaires étaient liés aux « suspects » par des contrats réguliers. En aucune circonstance il n’y eut, si nous nous souvenons bien, de défaillances parmi le personnel, quelles que fussent les opinions des travailleurs. Ces faits sont tout à l’honneur d’une profession qui se targue de garder en toutes circonstances son franc-parler et sa liberté d’allures.

Des ouvriers du Livre le correcteur est assurément celui qui le plus nettement peut apprécier les mérites, en même temps que les défauts d’une œuvre. Mieux que tout autre, le correcteur dont l’intelligence toujours en éveil suit le développement du plan d’un auteur, entrevoit le but auquel tend l’écrivain. Avant tous, le correcteur, qui seul connaît l’ensemble du travail, peut soupeser sa valeur et ses conséquences.

La discrétion dont le correcteur doit faire preuve dans l’exercice de ses fonctions est, on le comprend aisément, l’une des qualités les plus essentielles qu’il doit posséder. Tout le jour, l’humble « chasseur de coquilles » s’est penché, avec une attention et une sollicitude méritoires, sur les feuillets où s’est exprimée en termes véhéments la furie d’un révolté, sur les pages où s’ébauche l’étude d’une découverte dont il calcule en lui-même et la portée et l’importance. Et