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Page:Brossard - Correcteur typographe, 1924.djvu/245

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Malgré le dicton populaire « savant comme un académicien », il faut bien convenir que parfois la science ne voisine qu’imparfaitement avec l’orthographe. Les grammairiens et les académiciens du xviie et du xviiie siècle ne s’accordaient point, on l’a vu, sur les règles orthographiques et se permettaient maintes licences dont nous nous émotionnons ; ceux du xixe et du xxe siècle paraissent ne vouloir rien envier à leurs prédécesseurs : témoin l’anecdote suivante : Au temps du Second Empire Fontainebleau fut l’une des résidences d’été préférées de l’impératrice Eugénie. La princesse de Metternich raconte, avec une simplicité charmante, les occupations frivoles du cercle d’intimes qui entouraient la jeune souveraine :

On jouait parfois au secrétaire, et chacun tâchait de se surpasser. Un soir, M. Prosper Mérimée proposa de nous faire faire « la fameuse dictée de l’Académie » qui se complaît dans des difficultés de participes véritablement torturantes. On se mit à l’œuvre. La plupart des personnes s’y refusèrent en assurant qu’elles ne s’exposeraient sous aucun prétexte à la risée générale en faisant trop de fautes. Mérimée commença. L’empereur, l’impératrice, quelques-uns des invités, personnages graves et paraissant très sûrs de leur affaire, Alexandre Dumas fils, Octave Feuillet, mon mari et moi, nous étions placés autour de la table du salon et, armés de crayons, nous écrivions sous la dictée de Mérimée. Quand il eut fini, il prit les différentes feuilles, et, en les parcourant, corrigeait et recorrigeait sans cesse. L’inquiétude s’empara des pauvres élèves !… Le travail de correction terminé, Mérimée se leva et déclara à haute voix le nom du lauréat, lequel, à la stupéfaction générale, était celui du prince de Metternich ! Il lut : « Sa Majesté l’Empereur a fait 45 fautes ; Sa Majesté l’Impératrice, 62 ; la princesse de Metternich, 42 ; M. Alexandre Dumas, 24 ; M. Octave Feuillet, 19 (je passe les autres) ; et le prince de Metternich, 3… »
xxxx Je laisse à juger de la figure consternée des deux académiciens. Elle nous fit tous éclater de rire. Alexandre Dumas se leva et alla vers mon mari en lui demandant : « Prince, quand allez-vous vous présenter à l’Académie pour nous apprendre l’orthographe ? »

Cette dictée à laquelle la princesse de Metternich fait seulement allusion a été retrouvée ; nous croyons devoir la donner ici, avec l’orthographe et l’accentuation actuelles, en souhaitant aux aspirants correcteurs qui auront à résoudre les difficultés multiples qu’elle présente de se tirer habilement de ses nombreux pièges :

Pour parler sans ambiguïté, ce dîner à Sainte-Adresse, près du Havre, malgré les effluves embaumés de la mer, malgré les vins de très bons crus,