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Page:Brossard - Correcteur typographe, 1924.djvu/467

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ajoutait : « Si on leur souffre, ils [les maîtres] feront venir des nègres pour travailler à l’imprimerie, comme on s’en sert dans les îles pour travailler au sucre et à l’indigo. » Enfin, il proposait « d’exiger des alloués la connaissance du latin, et qu’ils eussent au moins fait leur quatrième », et de n’accepter que des gens capables et « non de la lie du peuple, comme on le fait ». On aurait eu ainsi des sujets en état de bien savoir leur métier. « Ce qui est d’autant plus essentiel que les trois quarts des maîtres imprimeurs ne le savent point eux-mêmes. »

La critique certes était un peu vive, et le parti pris faisait sans doute outrepasser les limites de la bienséance. Il est certain que quelques maîtres imprimeurs se trouvaient inférieurs à leur tâche, mais ces cas étaient assurément exceptionnels. En général, le niveau d’instruction de tous les travailleurs du livre est fort élevé. Compositeurs, imprimeurs font, en de nombreuses circonstances, preuve d’une érudition qui ne le cède que de fort peu à celle du maître, du chef d’atelier ou du correcteur ; les uns et les autres ne négligent, d’ailleurs, aucune occasion d’étendre leur bagage scientifique et littéraire, ou de rappeler aux pouvoirs publics l’obligation qui leur incombe de sauvegarder la haute culture intellectuelle que la corporation s’est toujours honorée de posséder. Aussi tous ceux qui à un titre quelconque — patrons, protes, correcteurs, compagnons typographes, ouvriers imprimeurs, relieurs, fondeurs, etc. — participent aux différentes opérations du métier s’estiment d’une condition sociale bien plus élevée que celle des artisans des autres professions. Ils aiment à se faire donner le titre de « bourgeois de Paris », dont ils se distinguent peu, d’ailleurs, en public en raison de leur mise toujours soignée. Malgré les édits, ils persistent à conserver l’épée au côté, moins pour en user, que pour se rapprocher des hautes classes de la société et se distinguer du vulgaire[1].

À l’atelier, chacun reprend sa place dans la hiérarchie du métier : le maître observant plus ou moins les prescriptions du Pouvoir royal et les règlements qui régissent la Communauté des Libraires, Imprimeurs et Relieurs ; le compagnon, se pliant plus volontiers sous la forte discipline de la « chapelle », toujours frondeuse envers les édits, les lettres patentes, les ordonnances et les arrêts sous les coups des-

  1. D’après J. Radiguer.